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Moreto appartient à la grande époque du théâtre espagnol, à celle qui suivit Lope de Vega, et dont Calderon est la plus brillante personnification.

Philippe IV régnait alors. Ce prince présente une physionomie toute particulière parmi les tristes et sombres descendans de Charles-Quint. Parvenu au trône très jeune encore, il y porta un vif désir de rendre son nom glorieux. Il se croyait appelé à arrêter la décadence de la monarchie, déjà si avancée, à lui rendre la force et la grandeur qu’elle avait eues pendant le siècle précédent. Il réussit un instant à faire partager à l’Espagne cette illusion généreuse, et pendant quelques années l’opinion publique ne lui contesta pas le titre de grand dont le zèle adulateur de son ministre Olivarez s’était empressé de le décorer.

Mais au point où les choses en étaient déjà venues, il est permis de douter que le génie le plus énergique et le plus heureusement doué eût pu arrêter l’Espagne sur la pente fatale qu’elle descendait avec tant de rapidité. Philippe s’y montra tout-à-fait impuissant, et les quarante années qu’il passa sur le trône virent compléter l’abaissement du grand empire fondé par les Ferdinand, les Charles-Quint, les Philippe II.

Ce n’est pas ici le lieu d’énumérer les guerres malheureuses et les traités non moins désastreux qui, à cette époque, détruisirent la puissance militaire de l’Espagne, épuisèrent toutes ses ressources, lui enlevèrent quelques-unes de ses possessions les plus importantes, et firent passer à la France la suprématie politique. Il suffira de faire remarquer que le nom de Philippe IV est resté comme accablé sous le souvenir de ces désastres, préparés par les fautes de ses prédécesseurs, et que l’éclat même dont les lettres et les arts brillent sous son règne n’a pu le protéger dans l’histoire, si indulgente d’ordinaire pour les princes qui ont favorisé ces nobles distractions de l’esprit.

Cet éclat fut grand pourtant, et Philippe IV put en revendiquer avec justice une glorieuse part. Ami des plaisirs et des distractions élégantes qui lui firent trop souvent oublier les préoccupations plus sérieuses du gouvernement, il donna à la cour, à la société, un caractère qu’elles n’avaient pas eu sous ses prédécesseurs. Loin de se renfermer dans la rigoureuse étiquette à laquelle ils s’étaient si scrupuleusement soumis, parce qu’elle n’imposait aucun sacrifice à leur triste et sévère humeur, le nouveau monarque appelait, dans son palais du Buen Retiro, tous les hommes distingués par leur talent et par leur esprit. C’est là qu’il faisait travailler sous ses yeux, qu’il encourageait, qu’il comblait d’honneurs et de récompenses le grand peintre Velasquez, l’un des plus illustres maîtres de cette grande école espagnole qui vit surgir presque en même temps les Murillo, les Zurbaran, les Espagnoles, les Alonso Cano ; c’est dans ce même palais qu’on donna, pendant plusieurs années, de magnifiques fêtes, dont les représentations dramatiques étaient le principal ornement.

Le goût de ces représentations était la passion dominante de Philippe IV. S’il faut en croire une tradition fort accréditée, il est l’auteur de quelques comédies encore existantes aujourd’hui. Ce qui paraît certain, c’est qu’il réunissait parfois quelques auteurs comiques avec lesquels il se plaisait à improviser des scènes à la manière italienne.