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REVUE. — CHRONIQUE.

qui a déterminé le rejet de la loi, ce sont les suffrages de quarante à cinquante députés d’origine, d’opinion, de tendances très diverses, et entre lesquels il n’y a eu ni combinaison ni accord. Les uns voulaient repousser une loi qui leur déplaisait, et dont ils ne comprenaient point l’importance politique : ils l’ont traitée comme une question de centimes additionnels ; les autres voulaient faire sentir que rien n’était possible sans leur concours, et en même temps faire tomber le ministère ; enfin il y a eu tel député qui ne voulait ni repousser la dotation ni renverser le ministère, et qui a cependant déposé dans l’urne une boule noire. C’est qu’il ne croyait pas au rejet de la loi, c’est qu’il comptait sur les boules blanches de ses voisins. Il se proposait de ne pas se vanter de son vote à Paris, et de s’en vanter auprès de ses électeurs. Et d’ailleurs, il savait bien que la loi une fois passée, on est fort oublieux à Paris, tandis qu’on a longue et bonne mémoire en province.

Même dans le pacte du silence, il y a eu de l’équivoque et du sous-entendu. Quelques-uns savaient sans doute ce qu’ils faisaient ; c’était pour eux de la tactique parlementaire. D’autres acceptaient le silence comme un débarras, comme on saisit au vol tout prétexte pour ne pas parler d’un sujet qu’on n’aime guère.

C’est ici que les ministres ont manqué à la fortune. Je ne sais si leur silence a été une calamité publique ; mais, à coup sûr il a perdu la dotation et précipité la chute du cabinet. Il nous est impossible de comprendre comment un ministère, dont six membres appartenaient à la chambre des députés, sans compter les secrétaires-généraux et autres fonctionnaires attachés aux divers départemens, et également membres de la chambre, ont pu ignorer les dispositions de l’assemblée, et ne pas voir qu’une discussion vive et forte pouvait seule les changer. Encore une fois, il n’y avait pas coalition formelle, mais l’accord tacite transpirait de toutes parts ; les dispositions peu bienveillantes de la chambre ne pouvaient être un mystère pour personne. Le gouvernement représentatif a-t-il donc ses hallucinations, comme les gouvernemens absolus ? Au moins, ce n’est pas faute de causeries et d’indices de toute nature qu’on peut chez nous se tromper dans ses prévisions.

Mais post factum nullum consilium. La crise ministérielle a éclaté. Il ne s’agissait pas seulement de trouver des ministres ; il fallait une majorité. Un 22 février pur était impossible ; les doctrinaires se seraient portés de l’autre côté avec la fraction du centre gauche qui serait restée fidèle à MM. Dufaure et Passy. Un 15 avril n’était pas plus possible, la même manœuvre aurait eu lieu en sens inverse : il ne restait d’autre ressource qu’une combinaison, il n’y avait de possible qu’un ministère de coalition. Au fait, trois combinaisons étaient seules praticables : le centre gauche avec les doctrinaires, les 221 et les doctrinaires, les 221 et M. Thiers ; nous disons les 221 avec M. Thiers, car il paraît certain que, dans cette combinaison, M. Thiers aurait été abandonné par la grande majorité du centre gauche, et n’aurait guère pu apporter comme lot que sa valeur personnelle et quelques voix restées fidèles à sa fortune.

C’est à la combinaison du centre gauche avec les doctrinaires qu’on s’est