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extérieure ? Il prépare un ouvrage en trois ou quatre volumes in-8o qui aura pour titre : De l’état politique, moral et intellectuel de la France en 1840. Que ce livre soit un travail curieux de recherches et d’érudition, c’est probable ; mais vrai et animé, j’en doute.

Cependant tous ces livres bons ou mauvais, écrits à la hâte ou travaillés lentement, s’impriment et se vendent, car la nation allemande a un immense besoin de livres. Il en faut aux gens du monde, qui ne sont pas encore absorbés comme en France par les rumeurs de la politique ; il en faut à toute cette bourgeoisie paisible, heureuse, qui s’est faite une douce loi d’étudier et d’être instruite ; il en faut aux ouvriers et aux paysans, qui tous savent lire et veulent tous avoir dans leur atelier ou dans leur ferme quelques volumes pour occuper leurs veillées d’hiver et leurs loisirs du dimanche. De là vient que les libraires, tout en faisant plusieurs fausses spéculations, et en voyant revenir au bout de l’année une quantité de ces malheureux ouvrages rétrogrades qu’ils appellent des krebsen[1], s’enrichissent encore, ou tout au moins maintiennent l’équilibre dans leurs affaires.

J’ai dit le mauvais côté de la littérature allemande. Il y en a un autre plus doux à représenter. En perdant successivement les hommes qui l’ont élevée si haut dans l’estime des nations étrangères, l’Allemagne n’a pas été complètement dépouillée de ses illustrations, comme une forêt où la hache du bûcheron ne laisse ni arbres, ni arbrisseaux. Sa vie ne s’est pas éteinte dans son deuil, et sa mâle beauté ne s’est pas perdue tout entière sous ses habits de veuve. Tant qu’un immense pays comme celui-ci conserve ses institutions paisibles, ses désirs sages, ses habitudes de travail et ses puissantes facultés de réflexion et de persévérance, que ne doit-on pas en attendre pour le progrès des sciences et des lettres ! Je me retourne vers vous, noble école des frères Grimm, et j’admire l’édifice savant que vous reconstruisez à l’aide de tant de recherches et d’ingénieuses observations. J’ouvre la porte des universités, et je vois tout un peuple d’érudits poursuivant avec une patience de bénédictins les travaux de leurs prédécesseurs. Ici, Othfried Müller continue ses études archéologiques, là Ritter ajoute une nouvelle page à sa géographie, et tandis que Bopp et Hammer explorent, sous le point de vue littéraire et philologique, les richesses de l’Orient, Lachmann, Wolff, Hoffmann de Fallersleben, Van der Hagen, recueillent d’une main pieuse les poétiques débris du moyen-âge. Si, dans cette rapide énumération, que plus tard nous reprendrons, je ne cite pas M. de Humboldt, c’est que les lecteurs ont déjà sans doute prononcé son nom, car quand on parle de l’Allemagne scientifique, il est le premier qui vienne à la pensée. Si de ce domaine de graves études, je passe à celui de la poésie, voici les derniers vers et les dernières lettres que Chamisso,

  1. Toute la librairie allemande se fait, comme on sait, par commission. L’éditeur envoie les exemplaires des livres qu’il publie à ses correspondans, qui doivent, à la foire de Leipzig, ou lui en tenir compte s’ils les ont vendus, ou les lui rendre. L’exemplaire qui rentre ainsi en magasin est désigné sous le nom caractéristique de krebs (écrevisse.)