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masque antique, peindre une maladie commune de nos jours, la maladie du nom, la soif du bruit et de la célébrité. » Il a voulu, « en montrant la médiocrité ambitieuse obligée d’aller par le crime à la renommée, dégoûter les esprits faibles et vulgaires de la recherche de la gloire. » Cette donnée, je le reconnais volontiers, ne manque ni de vérité ni de grandeur ; elle est d’ailleurs conforme au témoignage des écrivains de l’antiquité. Nous savons en effet qu’Érostrate a brûlé le temple d’Éphèse dans l’espoir d’immortaliser son nom. En choisissant pour thème satirique le crime d’Érostrate, l’auteur a donc voulu stigmatiser l’orgueil poussé au crime par l’impuissance. Est-il demeuré fidèle à cette donnée dans l’exécution de son ouvrage ? Toutes les parties de la fable qu’il a imaginée relèvent-elles de l’intention qu’il annonce ? A-t-il fait, en un mot, ce qu’il voulait faire ? Je ne le crois pas. Des quatre parties qui composent le poème d’Érostrate, une seule est remplie par l’incendie du temple d’Éphèse, la quatrième et dernière ; les trois parties précédentes ne préparent que très indirectement le dénouement du poème. Au premier acte, en effet, nous voyons Érostrate essayant de faire violence à une jeune fille ; en vérité, il faut une grande complaisance pour voir dans la brutalité d’Érostrate une inspiration de l’orgueil. Érostrate, séduit par la beauté d’une jeune fille, veut chercher le plaisir dans ses bras. Il n’y a dans cette action vulgaire rien qui ressemble à la soif de l’immortalité. Le poète essaie vainement de rattacher la luxure à l’orgueil ; les paroles mêmes qu’il emploie pour caractériser la conduite d’Érostrate démontrent surabondamment l’intervalle qui sépare la luxure de l’orgueil. Érostrate ne craint pas de dire à la jeune fille qui lui résiste : « Je suis le bouc, le mâle du troupeau, » et il s’étonne qu’elle ne se rende pas à cet argument. Les pâtres qui accourent aux cris de la jeune fille et qui la délivrent, donnent à Érostrate le seul nom qui lui convienne : ils le traitent de satyre. Le vieillard qui intervient pour apaiser la querelle et qui condamne Érostrate à quitter sur-le-champ l’île de Lemnos, s’associe pleinement au sentiment des pâtres furieux. Il entame avec lui une discussion sur les plaisirs des sens et les joies de l’ame ; il lui donne d’excellens conseils, un peu longs peut-être, mais il refuse très justement de voir dans l’action brutale d’Érostrate une inspiration de l’orgueil. À notre avis donc, toute la première partie du poème de M. Barbier doit être blâmée sévèrement, comme ne servant en rien au développement de la pensée qu’il a choisie. On peut louer dans cette première partie plusieurs vers qui rappellent heureusement la manière d’André Chénier ;