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rait aucun doute à cet égard. Nous n’insisterons pas sur la généalogie singulière du personnage de Pot-de-Vin, nous ne demanderons pas à M. Barbier pourquoi il en a fait le fils de la Paix et de Mammon, nous ne relèverons pas tout ce qu’il y a de bizarre dans l’alliance des idées païennes et des idées modernes ; mais une fois résigné à prendre pour vraie l’origine de ce personnage, nous avons le droit de juger comme une fable comique l’action dans laquelle il se trouve engagé. Or, il faut bien le dire, cette action ne résiste pas à l’analyse. Le poème de Pot-de-Vin est divisé en quatre parties : la première partie, ou le premier acte, se passe sur la terre d’Europe ; la seconde, dans le palais de la France ; la troisième, dans le temple de Mammon, et la quatrième, dans le même lieu que la seconde. Au premier acte, l’Espagne, l’Italie et la Pologne déplorent tour à tour leur misère et leur abaissement ; assurément, cette élégie dialoguée n’est dépourvue ni de vigueur ni d’élévation ; et si M. Barbier, en personnifiant ces trois nations, se fût contenté de l’expression élégiaque, il eût excité dans l’ame du lecteur une vive sympathie. Malheureusement il traite ces trois nations comme des personnages dramatiques ; il les fait voyager ; malgré les remontrances que leur adresse la Renommée, l’Espagne, l’Italie et la Pologne se décident à partir pour la terre de France, et afin de tromper la surveillance jalouse de leurs gardiens, elles prient Dieu de laisser à leur place une ombre faite à leur image. On sent tout ce qu’il y a de puéril dans cette invention ; l’élégie, brusquement arrêtée dans son développement, garrottée dans une fable sans vraisemblance, encadrée dans une machine d’opéra, perd toute sa grandeur et toute sa puissance ; la poésie disparaît, et le lecteur se laisse aller à discuter les paroles et la conduite des personnages, comme s’il s’agissait d’un récit historique. Ce que je dis de la première partie de cette satire, je peux le dire avec une égale vérité, une égale justesse des trois parties suivantes. Je sens très bien tout ce qu’il y aurait de ridicule à chicaner l’auteur sur les moindres incidens de son poème ; toutefois je ne puis me dispenser d’appeler l’attention sur le dommage causé au développement de la pensée poétique par la fable que M. Barbier a imaginée. L’Espagne, l’Italie et la Pologne frappent aux portes du palais de la France ; la France, assise au milieu de nombreux convives, se prépare à épouser Pot-de-Vin. Cette invention n’a pas besoin d’être caractérisée, il suffit de l’énoncer. La France, d’abord sourde aux plaintes des trois voyageuses, finit par leur promettre son assistance, malgré les réclamations énergiques de son étrange fiancé. Pot-de-Vin, désespéré,