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quoi se rallier directement, mais ils ont prêté beaucoup à qui sait considérer et s’instruire.

Si la noble, accueillante et expansive nature de M. de Lamartine, et qui semblait tellement faite pour être de celles qui concilient, a manqué jusqu’ici à ce rôle par une trop grande facilité d’ouverture et d’abandon, une autre nature bien haute de talent s’y est refusée par une raideur singulière que rien n’a fléchie. En ces dix ans qui s’achèvent, M. Hugo a donné à la fois les plus belles marques de son génie lyrique dans les Feuilles d’Automne, et de son talent de prosateur dans sa Notre-Dame de Paris ; Marion Delorme aussi (une œuvre dramatique véritable) n’a paru à la scène que depuis 1830. Mais on est tenté d’oublier ces portions magnifiques quand on songe à tant d’autres récidives simplement opiniâtres, à cette absence totale de modification et de nuance dans des théories individuelles que l’épreuve publique a déjà coup sur coup jugées, à ce refus d’admettre, non point en les louant au besoin (ce qui est trop facile), mais en daignant les connaître, et en y prenant un intérêt sérieux, les travaux qui s’accomplissent, les idées qui s’élaborent, les jugemens qui se rasseoient, et auxquels un art qui s’humanise devrait se proportionner. On peut dire que le genre de déviation propre à M. Hugo depuis dix ans, c’est sa persistance. Est-il disposé à le sentir aujourd’hui ? Ces sortes de natures si entières se corrigent-elles jamais, et ne mettent-elles pas leur point d’honneur à être ou à paraître jusqu’au bout invincibles ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la faute de cette Revue en particulier, si M. Hugo est resté isolé d’elle, et si cet isolement s’est traduit bientôt en lignes si tranchées, et a entraîné des conséquences sévères. Mais la première condition de toute communauté littéraire, c’est l’égalité morale, toute part faite à la supériorité des talens. Dans ce mouvement de retour, dans cette combinaison modérée, que nous invoquons, M. Hugo, jusqu’à présent inaccessible, demeure naturellement en dehors ; il reste un des grands exemples qu’on admire en partie, qui éclairent par réflexion, à distance, et qui hâtent la maturité de ceux qui en sont capables.

Ceux-ci, par bonheur, sont assez nombreux ; ils subissent humblement la loi intime de changement : qu’ils y joignent le travail, l’effort régulier, et cela pourra s’appeler progrès. Mais avant de compter avec eux, avant d’essayer de leur persuader ce que nous concevrions de leur concours, il est bon de voir ce qui ne saurait s’en séparer, ce qui s’est produit de tout-à-fait nouveau en littérature depuis juillet 1830, et, de postérieur aux talens éclos déjà sous la restauration.