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SANTA-ROSA.

la résolution magnanime et funeste qui le ramena un moment avec quelque éclat sur la scène du monde avant qu’il en disparût à jamais.

Pendant le séjour de Santa-Rosa en Angleterre, notre correspondance ne cessa pas d’être intime, sérieuse et tendre, comme elle l’avait toujours été ; mais elle est nécessairement très monotone, uniquement remplie de sentimens affectueux, de projets avortés, d’espérances déçues, triste tableau que je veux m’épargner à moi même ; aussi ne citerai-je que de rares fragmens des lettres de Santa-Rosa pour donner une idée de sa situation intérieure.


Londres, 26 novembre 1822.

« … Il faut cependant que je te dise les raisons de mon silence, ou plutôt que je te prouve que je n’ai pas cessé de penser beaucoup à toi. La meilleure manière de le prouver serait de t’envoyer trois lettres que j’ai commencées et que j’ai ensuite déchirées dans un mouvement, non d’impatience, mais d’amitié. Elles t’auraient réellement affligé. Je t’y parlais d’un ton si sombre de mon abattement et de ma tristesse intérieure, qu’il y aurait eu de la cruauté à te les envoyer, persuadé, comme je le suis, comme je le serai toujours, de la profondeur de ton sentiment pour moi… Ne va pas trop t’alarmer, ou plutôt alarme-toi sérieusement, toi qui sais et qui sens que toute la vie est dans l’existence intérieure. J’ai eu des journées où je me suis cru réellement perdu. Bon Dieu ! n’est-ce pas là se sentir mourir ? Au fond, je n’ai rien à reprocher à l’Angleterre, mais à mon genre de vie. Faire des visites, en recevoir ; des courses insignifiantes d’un bout de la ville à l’autre ; la nécessité d’apprendre l’anglais, et une répugnance décidée à m’en donner la peine ; un avenir inquiétant, si je ne me sers pas de mes facultés ; des dépenses bien au-dessus de mes moyens, etc., etc. Mon écrit sur le congrès de Vérone m’occupe presque continuellement la pensée, lorsque je peux penser. J’en ai déjà écrit bien des pages dans ma tête sur les trottoirs de Londres. J’espère que ce petit ouvrage sera utile. Je l’écrirai en français ; je le ferai traduire en anglais sans qu’il m’en coûte rien, et je le publierai ici ; alors je t’enverrai une copie de mon manuscrit, en t’autorisant à retrancher et à modifier tout ce qui effraierait un libraire parisien. Malgré la modération qui guidera toujours ma plume, il est impossible que j’oublie en écrivant que je suis en Angleterre. Comme je mettrai mon nom à cet écrit, il pourra, s’il