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SANTA-ROSA.

salle Saint-Martin, je ne l’ai entendu se plaindre ni du sort ni de personne. Il se prépara à bien mourir s’il était livré au Piémont, et ne lut plus que la Bible. Puis, quand cette crainte fut passée, son attention se porta sur tous les détails de la procédure suivie contre lui. Il était touché des égards qu’on lui témoignait, et pénétré de respect pour l’excellence de la loi française et pour l’indépendance de la magistrature. Il fallait voir Santa-Rosa dans sa prison. C’était une chambre assez bonne, aérée, salubre ; il n’y était pas mal, et il s’y trouvait à merveille. Le geôlier, qui faisait ce métier depuis longtemps, et qui avait appris à se connaître en hommes, avait bientôt vu à qui il avait à faire, et il ne le traitait pas comme un prisonnier ordinaire. Il l’appelait toujours monsieur le comte, et cela ne déplaisait pas à Santa-Rosa, qui lui parlait avec bonté, et finit par se l’attacher au point que ce geôlier avait tout-à-fait l’air d’un ancien serviteur de sa maison. Santa-Rosa s’était enquis de sa position de fortune, de sa famille, de ses enfans ; l’autre le consultait, Santa-Rosa donnait son avis avec douceur, mais avec autorité. On aurait dit qu’il était encore à Savigliano, à la mairie, parlant à un de ses employés. Quand il quitta la prison, le geôlier me dit qu’il perdait beaucoup. Il en était de même dans ma maison. Ma gouvernante l’aimait plus que moi-même, et encore aujourd’hui, après vingt années, elle ne parle de lui qu’avec attendrissement. Ce fut dans cette prison que je rencontrai l’ancien domestique de Santa-Rosa à l’armée des Alpes, Bossi, mauvaise tête et bon cœur, qui ne savait pas conduire ses affaires, mais qui aurait volontiers donné tout ce qu’il avait à son ancien maître.

Il n’est pas besoin de dire que ces deux mois, pendant lesquels je passais chaque jour trois ou quatre heures à la salle Saint-Martin, nous lièrent de plus en plus.

Il semble, après l’ordonnance de non-lieu rendue par M. le juge d’instruction Debelleyme, que le résultat de cette tracasserie devait être au moins de laisser Santa-Rosa tranquille à Paris : il n’en fut rien. D’abord il y eut une première opposition de la police. Il fallut que la cour royale intervînt, et prononçât formellement la mise en liberté, si nulle autre cause d’arrestation ne se rencontrait. Les ombrages de la police de M. de Corbière s’opposèrent même à l’exécution de ce second jugement, et, après que Santa-Rosa eut été déclaré enfin par la justice au-dessus de toute prévention, et par conséquent libre, M. de Corbière, par un arrêté ministériel, décida que M. de Santa-Rosa et quelques-uns de ses compatriotes, arrêtés comme lui, seraient relégués en province sous la surveillance de la