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que par moi et avec moi. Si, au fond, il ne s’agissait pas de complot contre la France, je lui montrai ce qu’il y avait de peu noble à poursuivre un proscrit, parce qu’il était sous un autre nom que le sien, quand d’ailleurs ce proscrit était un galant homme et vivait inoffensif, et je lui demandai à voir sur-le-champ Santa-Rosa. M. de Laveau était homme de parti, comme M. Franchet ; c’était un esprit étroit et soupçonneux, mais c’était un homme honnête ; il venait d’interroger une seconde fois Santa-Rosa ; il venait de lire le rapport du commissaire de police sur les résultats de la perquisition faite chez moi, et il commençait à reconnaître que l’accusation de complot contre le gouvernement français était dépourvue de tout fondement. Ma visite, en lui prouvant que nous n’avions pas peur et que nous ne craignions pas un procès, acheva de le persuader. Toutefois, il crut devoir affecter encore des doutes, et m’annonça que le procès aurait lieu. Je demandai à y paraître comme témoin, et, quelques jours après, je fus mandé en effet devant le juge d’instruction, M. Debelleyme, depuis préfet de police, et aujourd’hui membre de la chambre des députés. L’instruction fut courte et détaillée ; M. Debelleyme y montra une impartialité et une modération parfaites. Il prit, dans ses rapports avec le prisonnier, une haute idée de sa moralité, et il me parla toujours de lui avec respect et bienveillance. Ce procès ridicule aboutit à une ordonnance déclarant qu’il n’y avait pas lieu à suivre sur la prévention de complot, la seule qui eût motivé l’arrestation. Quant à l’affaire du passeport, sous un nom étranger, le tort du prisonnier était reconnu, mais dans les termes les plus honorables pour lui. Il était fait mention de la loyauté et de la franchise de ses aveux. Cette ordonnance de non-lieu n’intervint qu’au bout de deux mois, et, pendant tout ce temps, le pauvre Santa-Rosa demeura en prison à la préfecture de police, dans une des chambres de la salle Saint Martin. Les premiers jours de l’arrestation passés, j’avais obtenu la permission de le visiter tous les jours, et quelques autres personnes obtinrent ensuite la même permission. Ce fut dans cette circonstance que j’appris encore mieux à connaître le caractère et l’ame de Santa-Rosa.

Dans le premier moment, il avait eu deux craintes : la première, d’être livré au Piémont, c’est-à-dire livré à l’échafaud ; la seconde, que l’émotion de toute cette affaire et de la visite de la police ne portât un coup funeste à ma santé et ne m’achevât. Quand il me vit entrer dans sa prison, peut-être mieux qu’à l’ordinaire, sa sérénité d’ame lui revint, et pendant les deux mois entiers qu’il demeura à la