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SANTA-ROSA.

ques sacrifices perdent en quelque sorte leur prix au service de l’imprudence. Sans doute, le vrai but de la révolution piémontaise n’avait pas été le brusque établissement d’un gouvernement constitutionnel, comme celui de l’Angleterre et de la France nouvelle, dans un pays qui en est encore au XVIIe siècle. Cette révolution n’était autre chose qu’un mouvement militaire tenté pour arrêter l’Autriche au moment où elle allait passer le Pô, étouffer le soulèvement napolitain, et dominer l’Italie. La grande, l’inexcusable faute des chefs de ce mouvement militaire est d’avoir mis sur leur drapeau, par une condescendance mal entendue, la devise d’un libéralisme excessif et étranger, dont l’inévitable effet devait être de diviser les esprits, de mécontenter la noblesse, en qui résidaient la fortune et la puissance, et d’inquiéter la royauté. Et puis, le succès d’une prise d’armes de la maison de Savoie contre l’Autriche était à deux conditions : 1o que la France, si elle ne soutenait pas ouvertement ce mouvement, ne le contrarierait pas, et même le servirait sous main ; 2o que l’armée napolitaine résisterait au moins quelques mois. Or, ces deux conditions devaient manquer. En 1821, le gouvernement français inclinait déjà vers la réaction fatale qui aboutit promptement au ministère de M. de Villèle, et plus tard aux ordonnances de juillet ; et tout ce qu’il y avait en Piémont de militaires expérimentés savait bien qu’il était chimérique de compter sur l’armée napolitaine. La révolution piémontaise était donc condamnée à ne point réussir ; elle a fait le plus grand mal à ce petit pays, qui doit tout à la sagesse mêlée à l’audace, et qui ne peut grandir et s’accroître que par les mêmes moyens, qui depuis trois siècles l’ont fait ce qu’il est devenu. Placée entre l’Autriche et la France, la maison de Savoie ne s’est élevée qu’en servant tour à tour l’une contre l’autre, et en n’ayant jamais qu’un seul ennemi à la fois. La monarchie piémontaise est l’ouvrage de la politique ; la politique seule peut la maintenir. Peu s’en est fallu que la révolution de 1821 ne la détruisît. Un roi respecté abdiquant la couronne, l’héritier du trône compromis et presque prisonnier, la fleur de la noblesse exilée, le premier général de l’Italie, l’orgueil et l’espoir de l’armée, le général Giflenga, à jamais en disgrace ; vous, mon cher ami, destiné par votre naissance, votre fortune, et surtout par votre caractère et vos lumières, à représenter si utilement le Piémont à Paris ou à Londres, condamné à l’inaction pour toute votre vie peut-être ; des officiers tels que MM. de Saint-Marsan, de Lisio et de Collegno réduits à briser leur épée ; enfin celui qui vous surpassait tous, permettez-moi de le dire, celui dont l’ame héroïque