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province. Le fils de Moses Austin avait obtenu de chacun des états que traverse le Rio-Bravo le privilége exclusif d’établir sur ce beau fleuve la navigation à vapeur. Il se promettait de remonter à son premier voyage jusqu’à Chihuahua, et il ne doutait point de pouvoir un jour atteindre Santa-Fé, capitale du Nouveau-Mexique. Le succès de cette gigantesque entreprise aurait livré au capitaine Austin et à ses compatriotes le commerce des provinces septentrionales de la confédération mexicaine, et bientôt l’état de Santa-Fé aurait subi une double invasion, celle des habitans du Missouri par le nord-est, et celle des colons du Texas par le midi. Alarmé de ces projets ambitieux, qui se produisaient si hardiment au grand jour, le nouveau gouvernement de Mexico, dirigé par M. Alaman après la chute du président Guerrero, prit le parti de maintenir sa souveraineté sur le Texas en prohibant toute émigration ultérieure des Anglo-Américains. La loi rendue à cet effet par le congrès est du 6 avril 1830. La suite des évènemens prouvera qu’il était trop tard, et qu’on avait fermé les portes de la place quand déjà l’ennemi s’était introduit en force dans les murs. D’ailleurs, il est peu probable que la loi du 6 avril ait suffi pour arrêter l’irrésistible courant de l’émigration. Rien n’est plus rare dans l’Amérique espagnole que le respect de la loi. C’est depuis long-temps, dans l’ordre politique comme dans l’ordre civil, la terre classique de l’anarchie. Institutions, régime électif, représentation nationale, liberté de la presse, justice et tribunaux, ne sont que de pures fictions dans ces républiques, où le caprice d’un régiment et la mauvaise humeur d’un général bouleversent le pays tous les ans au moins une fois. Il serait donc fort étonnant que, depuis le mois d’avril 1830 jusqu’à la révolution de 1836, les Anglo-Américains de la Louisiane, de l’Arkansas et des autres états voisins, eussent regardé le Texas comme une terre sacrée, et se fussent religieusement abstenus d’y pénétrer. Je tiens au contraire pour avéré que la colonisation y a marché son train, sous l’œil inquiet et l’impuissante surveillance de quelques garnisons mal payées, jetées aux deux extrémités de la province.

La résistance que rencontrèrent, dans les dispositions du Mexique tout entier, à la fin de 1829, les projets avoués du cabinet de Washington sur le Texas, ne fut probablement pas la seule qui le força d’en ajourner l’exécution et de recourir à d’autres moyens pour atteindre son but essentiel. Outre l’inquiétude qui se manifesta immédiatement au sein des états du nord de l’Union, le gouvernement mexicain trouva encore un puissant appui dans la politique de l’An-