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LE THÉÂTRE-ITALIEN.

sent une ame forte qui va se communiquer à vous. Le talent de l’actrice est analogue. Toutes les facultés désirables et toutes les qualités innées l’inspirent presque spontanément ; mais ce talent n’a pas été soumis, comme le chant, à de rigoureuses études, et il brille encore par ce qui lui manque : heureux défaut jusqu’à présent, qui attendrit plus qu’il ne le fâche, un public paternel aux grands artistes. Il est remarquable que ce même public qui se montre si scrupuleux pour les choses qu’il ne comprend pas bien encore, se montre si délicatement et si sagement indulgent pour celles qu’il juge sainement au premier coup d’œil. On a remarqué que la jeune actrice avait parfois une certaine gaucherie pleine de grace et de pudeur, parfois aussi une énergie pleine de sentiment et d’irréflexion, et on lui a su bon gré de se laisser gouverner par ses impressions sans prendre conseil que d’elle-même, et sans chercher trop devant son miroir l’habitude que les planches lui donneront assez vite. On a remarqué aussi que sa taille était admirablement belle ; dans ses gestes faciles et naturellement gracieux, les peintres admirent la poésie instinctive qui préside à ses attitudes, même les moins prévues par elle. Elle est toujours dans les conditions d’un dessin correct et dans celles d’un mouvement plein d’élégance et de vérité.

Elle ne plaît pas seulement, on l’aime. Le public le prouve en ne l’applaudissant pas avec frénésie ; il faudra cependant, pour son propre intérêt, qu’il apprenne à l’applaudir avec discernement et à ne pas rester froid devant une phrase admirablement dite, quand il bat des mains pour une cadence effrayante de durée et de netteté. Ce sont là des tours de force que Mlle Garcia exécute avec une liberté surprenante, car elle peut tout ce qu’elle veut. Mais le public ne voudra-t-il pas la dispenser quelque jour de cet horrible agrément qui n’aboutit qu’à imiter parfaitement le bruit d’une bouilloire à thé, et qui suspend le sens de la mélodie devant une niaiserie désagréable à l’oreille ? Pauvres grands artistes, vous avez bien besoin qu’on vous laisse corriger les sottises de la mode !

Il n’y a qu’une cadence au monde que je voudrais conserver, si tout autre après Rubini pouvait la reproduire ; c’est celle qu’il a introduite dans l’air de Don Juan : Il mio tesoro intanto, et qui est devenue célèbre. Elle est courte, premier mérite, puis elle est énergique, vaillante, et complète l’idée musicale au lieu de l’altérer. Enfin elle est écrite par Mozart dans l’accompagnement, et le public, entraîné par l’audace et le goût du chanteur, a eu le bon esprit de ne pas la contester.

Avec Rubini, avec Lablache, avec Tamburini, avec Mmes Garcia, Grisi et Persiani, l’opéra italien va nous quitter si on perd le temps à délibérer froidement et lentement. On sera toujours forcé par la suite de rendre le Théâtre-Italien à la capitale ; mais si on tarde, ces grands artistes seront dispersés, et nous aurons des talens de second ordre avec plus d’exigences peut-être. Conservons donc ces généreux chanteurs que nous aimons, que nous connaissons, qui nous connaissent et nous aiment aussi, et qui se prodiguent avec tant de