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enchères chaque fois qu’un engagement est à renouveler ; il le faut, pour que ces artistes ne soient pas exposés à chanter dans la froide solitude d’une salle dégarnie, pour qu’enfin il y ait toujours entre eux et les spectateurs ces communications chaudes et puissantes qui entretiennent chez les uns le zèle et la passion de l’art, et chez les autres le plaisir et l’enthousiasme.

Sans les abonnemens, qui garantissent à l’avance de suffisantes recettes et des assemblées nombreuses, le Théâtre-Italien n’est pas possible. Tout le monde est d’accord sur ce point. Comment s’étonner dès-lors que, réduit encore à l’Odéon pour une troisième année, privé de la subvention, ne trouvant plus dans les théâtres d’Italie ni assez de grands artistes, ni d’assez grands artistes, pour remplacer ceux qu’il perdrait, comment s’étonner que le directeur remette aux mains du ministre de l’intérieur un privilége dont l’exploitation devient périlleuse dans de telles conditions ? La haute probité de M. Viardot se refuse à compromettre les intérêts d’un commanditaire qui lui a donné sa confiance. Il ne peut se résigner à voir périr ou seulement dépérir dans ses mains le Théâtre-Italien, auquel l’attachent des liens bien autrement puissans chez lui que ceux de l’intérêt ; et il ne faudrait peut-être pas beaucoup compter sur les espérances hardies que donnerait un administrateur nouveau, quand on voit un homme d’honneur quitter la place, non par découragement, non par manque de capacité à coup sûr, mais par de religieux scrupules et de sages appréhensions.

L’on s’était trompé en croyant que les abonnés braveraient long-temps tous les inconvéniens que présente pour eux l’exil du Théâtre-Italien à l’Odéon. Maintenant on commet une autre erreur non moins funeste. On se persuade que les chanteurs italiens ne quitteront pas, ne peuvent pas quitter Paris. Où iraient-ils ? dit-on ; quel théâtre au monde peut les accueillir et les conserver tous ? Il est vrai que Londres étant abandonné l’hiver par la société riche, aucune autre ville que Paris ne peut réunir les artistes qui forment actuellement la troupe italienne. Mais avant de s’assembler à Paris ils étaient dispersés ; ils se disperseront encore. Lablache ira à Naples, Tamburini à Rome, Mlle Garcia à Milan, Mme Persiani à Vienne. Chacun d’eux, ainsi isolé, trouvera des avantages d’argent égaux à ceux que Paris peut lui offrir et jouira seul des autres avantages d’une supériorité non contestée. Que l’on y prenne garde, le temps marche, la saison théâtrale va finir ; nul ne peut, dans l’état des choses, renouveler des engagemens qui expirent. Si l’administration qui a laissé faire le mal ne se hâte de le réparer par les mesures les plus promptes et les plus efficaces, nous courons grand risque de n’avoir l’année prochaine ni salle pour loger les chanteurs italiens, ni chanteurs pour occuper une salle.

Voici donc notre scène italienne-française atteinte dans son principe vital par la double mesure législative, le retrait de la subvention et l’exil au-delà des ponts. Cette mesure a été motivée, comme nous l’avons dit, par la nécessité d’encourager exclusivement le genre national en musique, et une profonde indifférence pour l’art exotique a présidé à son arrêt de mort en place de l’Odéon.