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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

l’abbaye de Saint-Vincent du Mans qu’il se mit à l’œuvre sans jamais s’interrompre. Après plus de dix ans de préparation, le premier volume parut en 1733. Un discours préliminaire expose l’état des sciences et des lettres dans les Gaules avant Jésus-Christ ; suivent par ordre de date, à partir de Pythéas, les divers savans et littérateurs ; on donne la biographie d’abord, puis la liste, l’analyse et la discussion des écrits. Lorsqu’on en est au Ier siècle de l’église, un discours préliminaire encore sur l’état des lettres en ce siècle précède la série particulière des écrivains ; même ordre pour les âges suivans. Ce tome premier allait jusqu’au IVe siècle inclusivement. Le tome second, qui parut en 1735, c’est-à-dire deux ans seulement après le premier, était tout rempli par le Ve siècle. L’abbé Prévost, dans le vingtième nombre du Pour et Contre, adressa aux auteurs sur leur premier volume, parmi de vrais éloges, assez de critiques qui lui attirèrent une réponse dans la préface du second tome : « C’est une plume agréable, disait-on, qui cherche à badiner… S’étant familiarisé avec le brillant, le nouveau, le magnifique, il voudrait ne voir paraître de livre que dans le même goût. » L’abbé Prévost leur reprochait, en effet, d’une manière assez peu indirecte, le manque d’agrément, de choix et de proportion dans la série des auteurs. Après s’être un peu légèrement égayé sur tant de noms bizarres d’écrivains exhumés pour la première fois, Gnyfon, Télon, Gyarée, Ursulus, Crinas et Charmis…, il ajoutait : « Mais, je me trompe : les auteurs de cette Histoire Littéraire n’ont pas eu l’intention de ne parler que de ceux qui le méritaient : ce choix les eût trop embarrassés. Tous les écrivains y ont leur place, parce qu’ils ont été des écrivains : ainsi l’on fait revivre, quinze ou seize siècles après leur mort, bien des auteurs qui étaient peut-être morts de leur vivant. Mais c’est la méthode de tous les bibliothécaires[1]. Il suffit même qu’il soit dit quelque part que tel Gaulois ou tel Français a écrit quelque chose pour qu’on lui accorde un rang dans la liste et qu’on en fasse mention dans le corps de l’ouvrage ; avoir été simplement homme de lettres, ou même avoir haï et persécuté les sciences (comme l’empereur Caracalla), est un titre pour avoir un article à part, et un digne éloge ou un juste blâme. » Osons le redire à notre tour ; oui, Prévost avait raison ; échappé lui-même des bénédictins et de leur méthode, il en parlait pertinemment. Ces religieux estimables ont la critique des textes, celle des dates et des noms ; mais la critique des idées ou

  1. Bibliothécaires, dans le sens d’auteurs de Bibliothèques.