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Au milieu de tant de rapprochemens heureux, variés et souvent lointains, que lui fournit son érudition si en éveil, j’ai ouï quelques personnes reprocher à M. Ampère d’avoir un peu trop négligé la part directe de l’antiquité classique et païenne jusque dans le christianisme, de n’avoir pas assez suivi les coutumes, la légende, parfois les divinités même se glissant d’un monde à l’autre, à peine transformées. D’ordinaire, en effet, il se pose le christianisme comme une limite absolue, comme un horizon au-delà duquel il ne remonte pas, pénétré surtout qu’il est, avec raison, de sa haute grandeur, de son caractère sans pareil dans l’ensemble, de son opposition essentielle au paganisme enfin, plutôt que de quelques rapports secondaires,

Mais j’ai hâte d’en venir à un autre rapprochement que les érudits n’ont pas manqué de soulever, et que M. Ampère ne doit pas craindre : dans quel rapport est son histoire littéraire avec la portion de celle des vénérables bénédictins qui embrasse les mêmes sujets dans les mêmes âges ?

Et d’abord ses trois volumes d’Introduction ne forment pas le moins du monde un extrait abrégé, résumé et coordonné des huit tomes in-4o de l’histoire littéraire bénédictine antérieure au XIIe siècle. Son ouvrage est tout original, puisé aux sources, d’une méthode et de résultats qui ne sont qu’à lui. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer la forme et le but des travaux entrepris par ses doctes prédécesseurs. C’est bien le cas d’appliquer et de conseiller ici le beau mot de Sidoine : Legebat cum reverentiâ antiquos et sine invidiâ recentes.

Dom Rivet qui, aidé de dom Duclou, de dom Poncet, de dom Colomb, de dom Tennes, ces humbles inconnus, est le principal auteur des neuf premiers volumes de l’Histoire littéraire de la France, avait en vue, au point de départ, les travaux de La Croix du Maine et de Du Verdier, dans leurs Bibliothèques françaises qui s’arrêtent au XVIe siècle. Mais ce n’était là qu’un premier essai bien incomplet, bien arriéré et nullement méthodique ; dans sa modestie laborieuse et à la fois dans sa pleine confiance en celui qui est la force des faibles, le pieux bénédictin osa embrasser un plan immense qu’un autre bénédictin, Dom Roussel, avait déjà également conçu : rassembler dès les origines toutes les parties éparses de notre histoire littéraire, en composer un corps méthodique et régulier. Suspect de jansénisme à bon droit, comme auteur du Nécrologe de Port-Royal (1723), Dom Rivet ne put obtenir une place dans la communauté de Saint-Germain-des-Prés dont la bibliothèque lui eût été si nécessaire ; c’est au fond de