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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

nature qu’il a avec les rhéteurs des siècles inférieurs retracés par M. Ampère. Et ce n’est pas un pur accident et chez un seul personnage ; toute la forme de mauvais goût autour de lui reproduit, comme dans un pendant, les bizarreries courantes d’Ausone à Sidoine. Qu’on ouvre les livres du père Garasse, ceux de Pierre Mathieu, si étrangement réhabilité de nos jours ; la pensée n’y va qu’à travers toutes sortes d’allusions érudites et sous une marqueterie de métaphores, toutes plus raffinées les unes que les autres, et qui ne permettent presque jamais de saisir le fil direct et simple. M. Ampère a rappelé la Chine à propos d’Ausone et de ses périphrases : « Il existe entre les lettrés, a-t-il dit, surtout quand ils écrivent en vers, une langue convenue comme celle des précieuses, et dans laquelle rien ne s’appelle par son nom. » Le père Garasse sent si bien qu’il est sujet à cette espèce de chinoiserie de style, qu’en tête de sa Somme théologique, voulant être grave, il avertit qu’il tâchera d’écrire nettement et sans déguisement de métaphores ce qui n’est pas chose aisée, ajoute-t-il, « car il en est des métaphores comme des femmes, c’est un mal nécessaire. » Le père Lemoyne de la Dévotion aisée n’est pas moins ridicule (et dans le même sens) que le plus mauvais des rimeurs allégoriques du IVe siècle. M. de Saci, tout de Port-Royal qu’il était, dans ses Enluminures de l’Almanach des Jésuites n’échappe pas à cette veine persistante ; c’est ainsi que ses vers des Racines grecques iraient mieux à quelque grammairien des bas temps qu’à un contemporain de Pascal. Je ne multiplierai pas les échantillons de détail ; mais l’influence espagnole elle-même, qui se fait sentir à cette époque Louis XIII, comme elle se prolongeait dans la littérature gallo-romaine, est une ressemblance de plus ; il y eut beaucoup d’auteurs gascons des deux parts.

Et ce n’est pas sous les aspects légers et bizarres seulement que se prononce cette ressemblance des deux époques ; elle est plus sérieuse que dans le goût, et elle éclate surtout dans la partie religieuse et profonde. L’espèce de renaissance chrétienne, qui eut lieu au commencement du XVIIe siècle, refit comme un contraste frappant et primitif de la pensée monastique austère avec la littérature mondaine. Port-Royal, étudié de près, m’a appris combien les inductions de M. Ampère sont justes, et combien elles établissent les vrais fonds du tableau qui se redéploiera plus tard à douze cents ans de distance. La conversion de M. Le Maître ne se comprend bien que lorsqu’on a assisté avec M. Ampère à celle de Saint-Paulin. Les amis du célèbre avocat converti, lorsqu’ils avaient à le défendre