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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

l’organe donné dans sa forme générale, elle s’en sert comme d’un point d’appui, elle l’élabore, l’organise au-dedans et se l’approprie pour ainsi dire. De même, avant l’œuvre tout à fait entamée et avancée, il y a plus d’une forme, je le crois, plus d’une issue possible à un vif esprit pour se produire et donner tout ce qu’il contient ; mais, une fois la forme de l’œuvre prise ou imposée, pour peu qu’elle convienne, l’esprit s’y loge à fond et y passe tout entier. Béranger d’abord ne se croyait pas fait pour la chanson ; il cherchait la grande poésie dans les genres réputés nobles ; s’il s’essayait dans le refrain, c’était sans but et par délassement. Mais, un beau jour, il s’aperçoit que la chanson peut tout tenir d’essentiel, même le grand, et le voilà qui s’y porte en entier et y triomphe. — Arrivons donc à cette histoire littéraire dans laquelle le talent, l’imagination, la sagacité et le savoir de M. Ampère se sont croisés et concentrés, et où la greffe savante a multiplié de si fructueux résultats.

Il a pensé avec les Bénédictins, et par des raisons que j’ose dire plus profondes, que l’histoire littéraire de la France ne se pouvait circonscrire aux siècles où l’on a commencé d’écrire en français. Comme il voit, avant tout, dans la littérature l’histoire du développement intellectuel et moral de la nation, il a pris cette nation à ses origines et jusque dans les élémens les plus anciens qu’on retrouve épars sur le sol. À ce titre, les vestiges ibériens, celtiques, phocéens, l’ont d’abord occupé ; mais il s’est considéré surtout en plein sujet, aussitôt après la conquête latine, dans l’époque dite gallo-romaine, qui s’étend depuis César jusqu’à l’invasion des Francs. Durant ces quatre

    Quand j’étais malheureux, souvent, lassé du monde,
    Je m’abîmais au sein d’une extase profonde ;
    Dans un ciel de mon choix mes sens étaient ravis :
    Indicibles plaisirs de longs regrets suivis !

    Maintenant j’ai quitté les folles rêveries ;
    C’est pour herboriser que j’aime les prairies.
    À rêver quelquefois si je semble occupé,
    C’est qu’un passage obscur, en lisant, m’a frappé.

    Quand j’étais malheureux, je voulais aimer, vivre ;
    Maintenant je n’ai plus le temps, je fais un livre.
    Vous qui savez des chants pour calmer la douleur,
    Pour calmer la douleur ou lui prêter des charmes,

    Quand vos chants du malheur auront tari les larmes,
    Consolez-moi de mon bonheur !

    Dans un temps où il y aurait encore une Anthologie française, une seule pièce pareille suffirait pour y marquer un nom.