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n’était ni italien ni florentin. De l’avis des écrivains de ce parti, l’Italie devait avoir, à l’exemple de la France, une langue logique, dégagée, vraiment moderne, populaire sans s’appuyer sur les écrivains du XIIIe siècle, et noble sans tomber dans les tournures prétentieuses. Baretti et d’autres s’impatientèrent de toutes les discussions des Florentins et des Italiens, et citèrent les dictionnaires français, anglais et espagnols, pour montrer ce que c’est qu’une langue vivante qu’on doit parler sans étude et écrire sans difficulté. En apparence, ce parti était le plus raisonnable ; mais il avait le tort d’être trop préoccupé des langues étrangères et de ne pas comprendre les différences qui séparent la littérature florentine de l’italienne, différences qui se reproduisent dans les mots, dans les phrases et dans les moindres détails du style ; il avait aussi le grand tort de vouer au ridicule des questions qu’avaient posées des hommes de génie, et qui s’étaient renouvelées à chaque époque de l’histoire italienne. De plus, il était anarchique, car il s’adressait au raisonnement individuel pour accomplir une révolution soudaine dans la langue. Qu’a-t-il produit ? D’aigres boutades contre les pédans, et des prosateurs pleins de gallicismes. Ses poètes ont échoué, parce qu’improviser une langue était au-dessus de leurs forces. Goldoni n’a rien gagné à se moquer des Florentins, et même à présent ceux qui suivent la méthode facile de Goldoni ne peuvent, s’ils sont pressés par l’opposition, que se jeter dans le parti florentin ou dans l’italien.

Il va sans dire que c’est la civilisation qui doit décider les questions de langue et de nationalité. Au XIIIe siècle, elle allait les résoudre au profit de l’Italie, ou plutôt de la Sicile ; alors la langue italienne avait son centre à Palerme, et on l’appelait langue sicilienne sans chicaner. Vers la moitié du XIIIe siècle, la Sicile vit sa mission accomplie ; la Toscane s’empara de la suprématie littéraire ; Dante, Pétrarque et Boccace élevèrent Florence au rang de capitale, et les villes de la Péninsule n’osèrent pas même attaquer cette prétention au nom des droits que leur avait octroyés Dante. Au XVIe siècle, ce fut le tour de l’Italie. La langue toscane, en se répandant dans les autres états, subit la double influence des patois et du latin. Ainsi généralisée, renouvelée par des tournures classiques et cultivée à la cour, cette langue se trouva en harmonie avec la littérature de la renaissance, littérature en même temps ancienne et moderne, nationale et savante. Florence plia devant ce mouvement italien. Varchi assure que de son temps, en Toscane, on n’osait plus lire un auteur florentin. Encore enfant, il avait été réprimandé pour avoir été surpris un Pétrarque à la main. Si un grand prince, marchant sur la trace des Borgia, eût improvisé cette unité nationale que la France et l’Espagne ont obtenue dans le cours des siècles et par l’organisation féodale, nul doute que cet homme n’eût tranché pour toujours la question de la langue italienne. Mais ce miracle ne se fit pas, l’Italie tomba sous la domination espagnole, et Florence profita habilement du revirement pour reconquérir, à force d’intrigue, ce qu’elle avait perdu par défaut de génie. Avant le XVe siècle, Florence avait donné trois grands