que la langue italienne n’est autre chose que la langue toscane, et que l’introduction des phrases lombardes, vénitiennes, napolitaines, etc., est le plus absurde attentat contre la pureté de la langue. Ces deux partis ont déchiré la littérature italienne depuis Dante jusqu’à Monti ; ils ont commenté, jugé, classé tous les écrivains d’après leurs sympathies, et ils se sont toujours combattus avec l’acharnement des haines guelfes et gibelines.
Le parti florentin a été le plus actif ; c’est lui qui a mis le plus de suite dans ses travaux et le plus d’obstination dans sa polémique. Les grands écrivains d’Italie, suivant lui, sont sortis de Florence ; Dante, Boccace et Pétrarque sont Florentins. Florence est l’Athènes de l’Italie, la ville où le peuple parle le langage des grands hommes, la ville qui a pris l’initiative de la littérature italienne ; c’est donc à Florence de veiller sur la pureté de la langue, de prononcer sur le mérite des écrivains, de faire le triage des mots, des phrases, et de fixer le dictionnaire de la nation. Qu’est-ce qu’une langue mort-née qu’on ne trouve que dans les livres, et qui prétend sortir de tous les dialectes d’Italie ? S’il n’y a personne qui la parle, où prend-elle les règles qui lui servent à corriger les barbarismes et les idiotismes de ses patois ? On dit que ce travail d’épuration se fait à la cour, que la langue italienne est aristocratique et courtisanesque. Mais c’est précisément à la cour que les langues se corrompent par le contact des étrangers, et qu’elles perdent toute la naïveté et la force populaires. — D’après ces idées, au commencement du XVIIe siècle, on a fait le Dictionnaire de la Crusca, grand lit de justice, où l’on a jugé les meilleurs écrivains de la nation avec une petitesse incroyable, et où les plus insignes pédans de l’Italie ont mis à la porte le Tasse, et ont daigné, après quelque hésitation, accepter Machiavel. Plus tard, l’académie a été forcée de revenir sur son ouvrage ; elle s’est beaucoup relâchée de sa ridicule sévérité, mais elle n’a jamais abandonné ni les idées étroites, ni les préjugés des premiers collaborateurs. Buammatei, Tolomei, Bembo, Dolce, Varchi, Lenzoni et Salviati ont été les défenseurs les plus remarquables du parti florentin.
Le parti italien n’a pas eu de centre, mais il a été fort nombreux ; il a réuni tout ce qu’il y a de plus national en Italie. L’opinion que soutient ce parti a été formulée par Dante, dans le petit traité dell’eloquenza vulgare, qui est considéré comme la charte nationale de la langue italienne. C’est là que Dante a passé en revue les quatorze langues italiennes ; c’est lui qui le premier les a condamnées, et depuis elles sont descendues au rang de patois. Il a mis celle de Florence au même niveau que celles de Bologne et de Milan ; il a trouvé le langage de la Toscane non moins défectueux que celui de la Lombardie ou de la Pouille, et il en a conclu qu’il fallait une langue noble, aulique, courtisanesque, générale, pour créer une littérature commune à tous les peuples italiens. Trissino reproduisit ce système avec les détails qui étaient nécessaires pour tenir tête aux prétentions florentines ; il travailla surtout à démontrer que Dante, Pétrarque et Boccace appartiennent à l’Italie, et non pas à la Toscane. Calmeta et Castiglione renouvelèrent la pensée de Dante avec quelques