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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

Rome, fier, vaillant, se faisant justice de ses propres mains, dominant la canaille par sa hardiesse ; il est l’ame des émeutes, il peut soulever la populace contre le quartier des Juifs, il peut l’apaiser et lui prêcher la modération. Au reste, Meo Patacca n’est pas une simple caricature ; le fond de ce type est à demi sérieux ; la plèbe de Rome n’a presque pas de types purement bouffons. Pasquino et Marforio ne sont pas de la famille d’Arlequin et de Polichinelle : ce sont deux expressions heureuses d’une satire plus élevée ; le plus souvent on les fait parler en italien ou même en latin. C’est à l’époque du conclave que les épigrammes de Pasquino et de Marforio se multiplient, et c’est aux cardinaux surtout qu’ils s’attaquent. Un historien du XVIIe siècle, Gregorio Leti, originaire de Bologne, est peut-être l’écrivain qui a mis en scène ces deux types célèbres avec le plus de bonheur ; mais il écrivit ses satires en italien, et on n’y remarque aucune trace des influences locales, si ce n’est cette causticité propre à la population romaine, dont on chercherait en vain un exemple dans le reste de l’Italie.

Le dialecte de Florence ou de la Toscane est celui qui approche le plus de l’italien, mais il en est séparé par des différences assez fortes pour avoir pu se créer une littérature originale. Baldovino a publié une lamentation amoureuse qui, de l’aveu des critiques, dépasse tout ce que la langue italienne a produit dans le même genre : incapable d’écrire même de médiocres vers en italien, il fut le plus grand poète de la littérature florentine. Laurent de Médicis, Pulci, Berni, Simeoni, Doni, Cicognini, Michel-Ange Buonarroti (fils du peintre), Becco da Broggi (pseudonyme), Laurent Lippi, ont également écrit en florentin ; nous omettons de compter quelques traducteurs du Tasse et de Boccace. Lippi a écrit un des plus beaux poèmes héroï-comiques de l’Italie. Laurent de Médicis, Pulci, Simeoni, Doni et Cicognini ont publié des stances rustiques ; Berni et Buonarroti ont composé des comédies champêtres ; Broggi a adressé des stances aux dames de Florence, et Moniglia s’est servi du patois dans quelques-uns de ses drames. En général, la poésie florentine ressemble à celle de Padoue ; peu enjouée, peu railleuse, elle parle d’amour avec une naïveté villageoise également éloignée des rêveries chevaleresques de la Sicile et de la bizarrerie vénitienne. La poésie de Padoue est la pastorale de Venise ; la poésie de Florence peut s’appeler la pastorale de l’Italie.


Si, dans tous les coins de l’Italie, il y a des patois et des littératures locales, si même, en Toscane, on trouve un dialecte qui se distingue de l’italien, quel est donc le pays où l’on parle la langue de Dante ? Qu’est-ce que la langue italienne ? Voilà le double problème qui reçoit une double solution dans l’histoire d’Italie, et qui divise toute la littérature de la Péninsule en deux partis, l’un italien proprement dit, l’autre florentin ou toscan. Pour les uns, la langue italienne se recrute dans les phrases de tous les patois, et ils la considèrent ouvertement comme une langue conventionnelle, qu’on ne parle nulle part, et qu’on doit étudier dans les écrivains qui l’ont faite. Les Florentins soutiennent