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lien. Cette apologie est le plus singulier ouvrage que nous aient légué les littératures populaires ; l’auteur y démontre l’adresse, l’industrie, l’antiquité, la noblesse des Bolonais ; il rapporte une quantité de vers, de sonnets, de lettres ; il met en scène les caricatures italiennes. « Pantalon, dit-il, est négociant, le Napolitain est capitaine, le Romain est gentilhomme ; mais Gratien, Gratien est savant, il doit donc avoir le pas sur tous les Italiens. » Scaligero développe presque toujours sa pensée sous la forme de la description ou du dialogue ; à la suite d’une proposition pédante, il place un conte ; à la fin d’un madrigal, il pose un axiome, et, à force de proverbes et de bons mots, il finit par se faire lire d’un bout à l’autre, malgré la bêtise réelle ou simulée de son livre. Sa conclusion est que le bolonais est supérieur à l’italien ; elle est d’ailleurs énoncée dans le titre de l’ouvrage : Discorso di Camillo Scaligero della fratta qual prova che la favella di Bologna precede ed eccede la Toscana in prosa ed in rima. Après Scaligero, le patois se développa avec plus de vigueur, et les attaques contre la langue italienne furent renouvelées avec plus d’impertinence. Montalbani et Bumaldi voulurent imposer à cette langue la domination des patois de Bologne et de Milan, mais ils se placèrent à un point de vue italien, ils voulurent transporter les phrases bolonaises dans le dictionnaire de la langue nationale, ils prirent au sérieux les plaisanteries de Scaligero, ils eurent l’impudence de citer Dante, et leur prose italienne, farcie de citations stupides, offre les ridicules et non le bon sens satirique du docteur Gratien.

Le troisième poète de Bologne est Lotto Lotti ; il fleurissait en 1685 à l’époque où l’on commençait à restaurer la littérature italienne. Il n’a pas la spontanéité de Croce ; au lieu d’inventer les caractères, Lotti donne toute son attention aux détails ; au lieu de s’emparer des traditions lombardes, il imite le Milanais Maggi. Lotti ne conserve l’originalité bolonaise que lorsqu’il trace des caricatures doctorales ; ainsi, sa meilleure pièce de vers est un dialogue intitulé l’Avocat, et, dans un petit poème de commande sur le siége de Vienne, l’auteur n’est vraiment inspiré que pour nous montrer Mahomet en queue poudrée et en besicles, faisant les affaires de Pluton avec l’obséquiosité de l’avocat bolonais. Lotti est mort dans le plus complet dénuement, laissant au théâtre italien un répertoire détestable de drames et de comédies.

De 1650 à 1750, la poésie bolonaise a produit des parodies de l’Énéide et de la Jérusalem délivrée, beaucoup de contes, une foule de nouvelles en vers, en prose, écrites quelquefois dans un italien fort corrompu ; ce furent des productions insignifiantes, où vint s’éteindre toute cette famille d’amusantes caricatures qu’avait créée l’imagination de J. César della Croce. À la fin du XVIIIe siècle, on ne trouve plus qu’un dernier poème écrit dans l’intention avouée de tourner en ridicule l’ancienne république de Bologne, pour faire l’apologie du saint-siége. Casali[1], qui est l’auteur de ce poème, a évoqué les Lambertazzi, les Geremei, la mythologie, la magie, la religion ; il a fait un pêle-mêle de

  1. Né en 1721, mort en 1802.