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des antécédens historiques de la ligue lombarde. Bergame et Brescia se dérobent à l’influence lombarde pour se rallier à Venise ; à Lodi, Lemene imite librement les comédies de Maggi ; dans d’autres villes, les patois sont fortement colorés et résistent en quelque sorte à la capitale.


Turin et Bologne sont les limites les plus reculées de l’influence milanaise. Turin pressé entre la Lombardie et la France, a eu beaucoup de peine à garder un patois. Le plus ancien poète du Piémont, Aglione, a mêlé dans son recueil de l’italien, du milanais, du latin, des vers macaroniques, du français et du patois piémontais d’Asti. Ses poésies sont naïves et grossières ; le caractère en est indécis, il reflète la double influence de Milan et de la France ; quelques-unes de ces petites pièces offrent une légère trace de l’ancienne galanterie provençale. Le recueil d’Aglione a été imprimé en 1515 : on y remarque un dialogue franco-turinois entre un chevalier français et une dame du pays, qui ne sait pas résister aux promesses et aux sollicitations de l’étranger. Trois siècles auparavant, un troubadour avait écrit un dialogue sur le même sujet en provençal et en italien. — Plus tard, avec l’agrandissement de la maison de Savoie, le Piémont s’étendit aux dépens du Milanais, et il se forma une littérature originale. À Turin, on vante beaucoup les vers d’Isler, de Calvi et de Pipino ; mais ils n’offrent rien de remarquable, si ce n’est un langage saccadé qui n’est ni italien, ni français, ainsi qu’une gaieté brusque et concentrée qui ne peut être goûtée qu’à huis-clos dans les maisons turinoises. Probablement le voisinage de la France a gêné la poésie piémontaise. À l’époque de la domination française, la succession des poètes piémontais fut interrompue. En 1814, le Piémont redevint italien, et, faute d’une puissante centralisation nationale, la poésie populaire se montra de nouveau, mais elle circula inédite, elle craignait les espions et les carabiniers[1]. Gerolamo Gianduja est la caricature plébéienne du Piémont ; c’est un pauvre rustre très gai, très satirique, habituellement domestique, mais rompu à tous les métiers ; il suit même les chevaliers errans, et il est très respectueux envers ses maîtres, envers les fées, envers tout ce qui a l’air comme il faut. Jusqu’à présent le pauvre diable a été dédaigné par les poètes, et il est encore sur les tréteaux à l’état de simple marionnette.

Le patois de Bologne est le plus plaisant de l’Italie : il consiste dans une abréviation burlesque du milanais, auquel il donne une certaine force comique en ne conservant presque de chaque mot que les consonnes ; il dit, par exemple, spnzes, sgner, cnossù, au lieu de spingere, signore, conosciuto. Dante a

  1. La révolution de juillet a réveillé le génie d’un poète piémontais ; son recueil vient de paraître en Suisse, sans nom d’auteur. C’est une brillante satire de tous les travers que la pédanterie et la servilité ont multipliés dans le pays. Le poète piémontais imite Béranger, et il semble plein d’enthousiasme pour la poésie de Porta. Chose singulière ! avec plus d’originalité, la littérature piémontaise offre encore ce caractère que nous avons signalé dans les vers d’Aglione, qui reflétaient la double influence de la Lombardie et de la France.