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gorie ; Basile, en la transportant naïvement dans ses contes, s’est assuré un titre durable à la mémoire de son pays. Le Pentamerone a été bien dédaigné par la littérature classique, on a presque ignoré son existence ; mais il a exercé une action irrésistible sur les poésies municipales de l’Italie : c’est qu’il tenait à des traditions fort répandues dans les provinces italiennes. Il offre des analogies frappantes avec plusieurs contes vénitiens ; on retrouve aussi quelques traits de l’imagination capricieuse de Basile dans le célèbre poème florentin du Malmantile, qui parut presque en même temps. Cinquante ans plus tard, Marsilio Reppone[1] imite le Pentamerone dans sa Poselicata, recueil de nouvelles napolitaines où les contes de Basile développés forment autant de petits romans. Cent ans plus tard encore, les mêmes nouvelles réveillent le génie de Ch. Gozzi : les drames fantastiques du poète vénitien ne sont que le Pentamerone mis en scène avec la verve de la comédie impromptu et avec les ressources des masques italiens.

On a dit que Basile est le Boccace de Naples : en effet, son livre offre un faux air de ressemblance avec le Decamerone, et puis Basile est le premier prosateur de Naples ; il a fixé le langage napolitain, comme Boccace a fixé l’italien. Du reste, il n’y a pas de rapport entre le génie positif et correct de Boccace et l’extravagance poétique du Pentamerone. On pourrait, avec plus de justesse, comparer ce livre au recueil des Mille et une Nuits, et encore cette ressemblance ne repose que sur des traces presque méconnaissables. Les contes orientaux étaient absolument inconnus à Basile, ils n’arrivaient à lui que défigurés par l’imagination populaire. Les épisodes des Mille et une Nuits qu’on rencontre chez Basile, sont toujours réduits à des proportions triviales et altérés par je ne sais quelle atmosphère de cuisine et de ménage ; la fantaisie napolitaine, au lieu d’embellir, d’idéaliser l’univers, l’a enlaidi à dessein ; pour en développer la vitalité, elle l’a peuplé de monstres. Il serait curieux de chercher par quel itinéraire les contes arabes sont arrivés jusqu’à Basile, et de suivre les transformations qu’ils eurent à subir en traversant des traditions étrangères ; mais les données manquent. Ce qu’il y a de certain, c’est que, avant et après Basile, le patois napolitain se trouve étroitement lié avec une poésie presque orientale.

Ainsi, l’ancien chroniqueur de Naples connu sous le pseudonyme de Villani a des pages qu’on dirait empruntées aux Mille et une Nuits. Conformément aux idées du moyen-âge, Villani présente Virgile comme le magicien qui a présidé à la grandeur de Rome : c’est lui qui a bâti cette tour merveilleuse d’où l’on découvrait tous les ennemis qui attaquaient l’empire. N’y a-t-il point là une version des traditions arabes sur Alexandre ? Villani rattache aussi aux enchantemens de Virgile la salubrité de Naples, l’origine de quelques monumens, l’existence d’un cheval de marbre qui guérit toutes les maladies des chevaux, etc. Après Basile, Marsilio Reppone a également reproduit quelques traits des nouvelles arabes, oubliés ou ignorés par son prédécesseur : évidem-

  1. Son véritable nom est Perrone.