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elle aurait pu produire des œuvres plus complètes et plus durables, si la société anglaise, dans un de ses accès de pruderie violente, ne l’eût frappée au cœur. Elle semblait se juger elle-même et jeter sur sa vie et son talent inachevés un coup d’œil plein de mélancolie et de justesse, lorsqu’elle écrivit ces vers charmans dont notre traduction reproduira faiblement la grace et le bonheur :

« La vie est faite d’heures misérables. Tout ce dont nous avons désiré la possession rapide, tout ce qui nous a coûté vœux, espérances, efforts ; toutes ces bénédictions si souhaitées, tout cela n’arrive que marqué d’un sceau funeste, avec une réserve douloureuse : Hélas ! nous aurions pu être !…

« Jamais l’avenir ne rend au passé les jeunes croyances qui lui étaient confiées. Sur le marbre pâle qui protégera notre cendre, écrivez ces mots, première et dernière vérité de la vie : Nous aurions pu être[1] ! »

Miss Landon a publié, quelque temps avant sa mort, un roman remarquable, Ethel Churchill. Sa prose est moins élégante que celle de lady Blessington, et moins spirituelle que celle de Mme Gore, les deux reines du roman fashionable ou comme il faut. La Governess de lady Blessington est une de ces délicates et minutieuses peintures qui détaillent curieusement un seul repli des mœurs nationales. La Governess occupe une position exceptionnelle ; c’est mieux que notre institutrice, c’est beaucoup moins que notre femme du monde ; un peu de pédantisme et une nuance bleue s’attachent communément à ce personnage, dont lady Blessington a plutôt caressé les aspects intéressans que saisi les côtés comiques. On trouva quelque talent aussi dans le Diary of a Nun, espèce de voyage en Italie, déguisé sous forme romanesque, dans le Favori de miss Jane Roberts, et

  1. Life is made of miserable hours ;
    And all of which we craved a brief possessing,
    For which we wasted wishes, hopes and powers,
    Comes with some fatal drawback on the blessing.
    — We might have been !…

    The future never renders to the past
    The young beliefs entrusted to its keeping.
    Inscribe one sentence, life’s first truth and last
    On the pale marble where our dust is sleeping.
    — We might have been
    , etc.