Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/498

Cette page a été validée par deux contributeurs.
494
REVUE DES DEUX MONDES.

le singulier mélange s’est fort bien vendu, même sous le voile de l’anonyme.

Du reste, le sceptre littéraire, dont Eugène Bulwer s’est emparé à la mort de Walter Scott, se trouve toujours aux mains des morts ou des gens qui se reposent. Bulwer, qui veut bien donner au théâtre quelques momens perdus, semble se diriger vers une activité toute politique. Chaque jour éclaircit les rangs des vieilles illustrations intellectuelles ou blanchit leurs cheveux grisonnans. Brougham, Southey, Wordsworth, Campbell, Thomas Moore, se tiennent debout sur les ruines de cette magnifique génération qui a ouvert les portes du XIXe siècle avec un si grand éclat de génie. Southey, dans sa belle solitude, se joue de ses souvenirs et de ses lectures en composant le Docteur ; Wordsworth, caché sous l’ombrage de sa forêt, jouit d’une gloire qui mûrit avec les années. Southey révise et corrige ses œuvres complètes ; Thomas Moore compile des livres obscurs ; miss Edgeworth produit en deux années un roman assez pâle, intitulé Hélène ; lady Morgan s’éteint ; Rogers se tait ; Leigh Hunt, homme remarquable et incomplet, écrivain excessif et coloriste faux, qui aurait en France un grand succès, et qui a créé là-bas une école long-temps ridiculisée, perd son exagération avec sa gloire et ne trouve plus d’écho ; Wilson continue sa mission de critique dans le Blackwood ; Lockhart, Campbell et Croly s’en tiennent aux mêmes fonctions. On publie, on annote, on illustre, on commente ; Byron, Scott, Cowper et Crabbe, reparaissent sous toutes les formes. Bulwer, qui semble regarder sa carrière littéraire comme achevée, fait paraître une édition complète de ses romans.

C’est l’époque des annotations, des notices, des commentaires, des lettres posthumes, des biographies. La correspondance et les journaux de Shelley viennent de paraître, publiés par sa femme. On commence à donner de l’importance à cette poésie métaphysique, long-temps peu appréciée des Anglais ; poésie transparente et flottante, qui ne transforme pas les réalités en idéal, mais qui essaie de condenser et de réduire en une forme solide les nuages du panthéisme mystique. D’ailleurs, en admirant Shelley, on ne l’imite pas. C’est moins une littérature que la queue d’une littérature ; le crépuscule suit le jour. Point de nouveauté, point de grandeur. Où sont les maîtres ? Où est Crabbe le tragique, Lamb le charmant comique, Coleridge le penseur ; Godwin, l’homme de génie qui n’a fait qu’un chef-d’œuvre ; Galt l’Écossais ; Keats, le jeune poète inspiré ; Shelley, le plus lyrique des modernes ; mistriss Hemans, dont l’inspiration était