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Guillaume III saisit le trône. Aussitôt le ton de la littérature change ; elle se subdivise comme le protestantisme ; elle devient spéciale, minutieuse, fractionnaire ; elle prend un caractère de détail hollandais, de moralité domestique, et d’indépendance individuelle qu’elle n’avait jamais eu. Le protestantisme la domine. Elle s’organise à son tour, selon le mode et le rite voulus par la critique protestante.

Cette histoire morale de la littérature qui n’a jamais été faite, se montre en Angleterre sous des formes particulièrement intéressantes. Ainsi, au XVIIIe siècle, l’Angleterre, qui possède vingt sectes religieuses sans compter le catholicisme, renferme, dans sa littérature, vingt littératures ; vous diriez la poésie et le drame de plusieurs peuples. — Pope représente la cour et le grand monde ; chez lui ainsi que chez Adisson, une moralité de convenance et de bon ton corrige la licence de l’ancienne cour ; il garde l’élégance et chasse la corruption. — Richardson va bien plus loin, il est puritain, populaire, calviniste, inexorable ; il s’embarrasse peu de vous amuser ; il professe un culte strict pour la vérité du détail et pour la régularité scrupuleuse. Tout un système de philosophie et de religion vit dans ses romans. — Fielding, au contraire, ce juge de paix qui écrivait de si délicieuses choses entre les bouteilles de vin de Madère et les pâtés de venaison, l’auteur de Tom Jones, ennuyé d’entendre toujours cette psalmodie puritaine, et fidèle aux vieilles mœurs bourgeoises de la patrie, mœurs plus joyeuses et plus indulgentes, poursuit à outrance l’hypocrisie et le cant. — D’autres groupes représentent la philosophie sceptique, le quakerisme, l’église anglicane, la nationalité irlandaise, la nationalité écossaise. Plus le temps s’écoule, plus l’œuvre du fractionnement continue dans toutes les directions. Jacobitisme, torysme, whiggisme, trouvent leurs échos. Une foule de Revues et de Magazines s’adressent à chacune des fractions sociales, et elles se subdivisent encore par la diversité des professions ou des goûts. L’Horticulteur, le Boxeur, l’Éleveur de chevaux, le Chasseur, ont leurs organes fidèles. Il n’y a pas si petite société, de joueurs de billard qui n’aspire à constater son existence au moyen de la presse.

Ce déluge de spécialités ne pouvait convenir qu’aux hommes médiocres. Les grands esprits sont toujours héroïques, ils combattent leur siècle. C’est leur destin. Les idées générales et la synthèse leur devinrent chères, à mesure que l’on se précipitait vers la subdivision infinitésimale et vers les spécialités les plus restreintes. Tel est le caractère de Burke, de Walter Scott, de Burns, de Byron, de