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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

propres liens dont il eût fallu le débarrasser en l’aidant ; malheureusement on lui barra les chemins, et, ainsi arrêté à toutes les issues, il ne fut que plus faible à rompre les obstacles qui étaient en lui, dans sa nature même, et il s’y engagea de plus en plus.

Pour Plaute cependant, malgré quelques restrictions, l’appui d’un talent délicat et judicieux, celui de Mlle de Meulan dans le Publiciste, dut singulièrement le flatter. L’éloge était d’autant plus précieux, que cette plume distinguée se montrait d’ordinaire fort sobre de complimens. Le public était assez de l’avis de Mme Guizot, et, en ces heureux loisirs littéraires de l’empire, on s’occupait beaucoup de Plaute. Déjà cette pièce avait été jouée six fois. D’après les conseils du peintre David, Napoléon, alors à Paris, vint, sans qu’on le sût d’avance, à la septième représentation. M. Lemercier était à un bal ce soir-là, et quelqu’un lui annonçant que l’empereur assistait à sa comédie : « Alors, répondit-il, c’est la dernière fois qu’on la joue. » Il avait bien deviné, car elle fut immédiatement suspendue.

Les applaudissemens s’adressaient au tableau piquant d’un poète volé : or, l’allusion sembla directe à l’oreille du maître. M. Lemercier était propriétaire, rue de Rivoli, d’un terrain considérable qui composait toute sa fortune. Dès la fin du consulat, l’état prit possession de ces biens pour y percer la rue des Pyramides ; la mauvaise humeur impériale fit si bien traîner les comptes (il s’agissait, je crois, de cinq cents mille francs), que M. Lemercier, malgré ses réclamations, ne fut indemnisé qu’à la fin de 1813. On profita de l’absence de l’empereur pour obtenir du conseil-d’état l’arrêté de restitution qui fut rendu à l’unanimité ; à son retour de Moscou, Napoléon refusa de ratifier le décret préparé, et il fallut l’insistance réitérée de Daru pour l’obtenir.

Privé momentanément de sa fortune, le poète, comme Plaute tournant sa meule, se consolait avec les lettres. Mais tous les théâtres lui étaient fermés, car les comités de lecture se montraient peu favorables à un écrivain si mal en cour, et dont la police arrêtait obstinément les ouvrages. M. Lemercier en prit son parti ; réduit aux plus strictes ressources, au res angusta domi, il soutint hardiment le siége, et, ne se laissant pas prendre par la faim, il refusa de capituler. Les consolations ne manquaient pas d’ailleurs à ce ferme caractère ; de généreux amis lui offraient de venir à son secours. Ainsi, avec une aimable discrétion, Mme de Staël, durant une de ses courtes apparitions en France, l’invitait sous un prétexte littéraire à passer plusieurs jours à Meulan, et là, abordant franchement la question :