L’homme qui, de l’Europe ayant su triompher,
N’aura pas craint d’asseoir la liberté publique,
Ou qui, nouveau César, aurait pu l’étouffer ?
Cependant le premier consul trouva bientôt l’occasion de mettre tout-à-fait M. Lemercier à l’épreuve, et d’essayer d’assouplir au joug impérial cet âpre esprit resté fidèle aux idées d’absolue liberté.
Toujours avide de voies nouvelles, M. Lemercier voulait créer une scène nationale par des sujets empruntés à notre histoire. La route ouverte par le Tancrède de Voltaire le tentait, plusieurs années avant que Raynouard eût composé les Templiers. Il écrivit la tragédie de Charlemagne, et, dès qu’elle fut achevée, il la lut à Bonaparte, qui crut y voir une occasion naturelle d’interroger le désir public. Le premier consul voulut persuader à l’auteur, en le complimentant sur son œuvre cornélienne, d’introduire à la fin de la pièce des envoyés qui offriraient au vainqueur des Saxons le trône d’Orient. L’allusion était facile à percer, et les applaudissemens de la foule eussent été doux à l’oreille consulaire. Comme on l’a dit, M. Lemercier eût pu arriver en cette circonstance au conseil d’état ; mais Charlemagne ne lui sembla point une transition directe à Napoléon, et il refusa. Joseph Chénier, plus souple malgré ses aigreurs, et qui renfonçait parfois le secret de sa haine républicaine, fut chargé de suppléer M. Lemercier en cette délicate affaire, et il rima Cyrus. La pièce, mêlée d’ailleurs de regrets et de sentences démocratiques, fut sifflée sans pitié, et Bonaparte se moqua de l’auteur. Chénier n’eut ni le brevet de sénateur qui était en jeu, ni les chœurs de l’Opéra qu’on lui avait promis pour la représentation de son Œdipe au Théâtre-Français. Quand Bourrienne vint annoncer la chute de Cyrus, le premier consul se contenta de dire : « Le sot ! Lemercier me l’avait bien dit. » Quant à la tragédie de Charlemagne, elle ne fut jouée qu’en 1816. Agamemnon était loin, et M. Duviquet, dans son feuilleton des Débats, put opposer, en un dialogue, piquant ce jour-là, M. Lemercier professeur de l’Athénée à M. Lemercier poète dramatique. Il était d’ailleurs trop facile de voir qu’Éginhard avait passé à travers Mably. C’est le défaut capital des tragédies trop nombreuses que le poète emprunta à l’histoire du moyen-âge.
Bonaparte n’oublia pas Charlemagne. Dans ses habitudes déjà impériales, il se faisait, comme les rois de France depuis Louis XIV, apporter d’avance chaque semaine le répertoire de ses comédiens ordi-