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et Lemercier, Agamemnon et les Étourdis ! Combien le goût y eût gagné, sans que le talent eût perdu ! Il est vrai que M. Lemercier rencontra un instant l’esprit fin et délicat d’Andrieux dans sa comédie de Plaute ; mais, pour s’en tenir à ce charme épuré de diction, à ce léger parfum attique, la muse d’Agamemnon était trop parente de celle de Le Brun, ce génie si dur et si incomplet, si élevé pourtant, dont elle disait :

S’il pleure un feu trahi, Vénus même l’inspire,
Et l’aigle fier se change en ramier qui soupire.

Les journaux ne s’occupèrent pas seuls d’Homère et d’Alexandre. Bonaparte, plein de sympathie alors pour l’énergique talent de M. Lemercier, en lut de longs morceaux avec le poète, qui passait quelquefois plusieurs jours à Saint-Cloud ou à la Malmaison. Les vers où il était question d’Arcole et de Rivoli lui plurent beaucoup ; pourtant il ajouta : « Il faut que je vous remercie et que je vous chicane. Vous me traitez fort honorablement et m’avez mis en bonne compagnie de héros ; mais vous terminez par deux vers qu’on trouve étranges :

Sache combler l’espoir qu’ont donné tes hauts faits ;
Moderne Miltiade, égale Périclès. »

Et le poète s’étonnant qu’un nom comme celui de Périclès, lequel rappelait Auguste, Médicis et Louis XIV, eût quelque chose d’offensant, il reprit : « Cette pensée ne s’offre pas de même à tous les esprits ; car, tournée en un autre sens, elle indiquerait à nos Athéniens du jour qu’il y a de la politique à jeter les Miltiades en prison… n’est-ce pas ? Hein… vous en devenez rouge. » Alors M. Lemercier : « Et vous, vous en devenez pâle ; c’est notre couleur à chacun, quand une chose nous émeut, et celle-ci m’étonne, je l’avoue… — Cette pensée qui vous trouble n’est pas la mienne, répondit le premier consul ; mais on l’interprète ainsi… » Et voulant rompre la conversation là-dessus, il ajouta brusquement : « Laissons les propos des beaux-esprits. » Et l’on ne reparla plus du poème d’Alexandre.

Ce furent là les prémisses d’une rupture qui éclata plus tard ouvertement. Comment d’ailleurs l’ambitieux conquérant eût-il pu s’accommoder long-temps d’un écrivain qui, dans une ode à la Muse tragique, datée de la Malmaison, osait dire :

Qu’il renaisse immortel sur la scène tragique,