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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

biade intitulés l’Ostracisme, actes spirituels parfois, mais où l’on est trop loin d’Aristophane. Dans la Journée des Dupes, il a tenté aussi d’élever à la hauteur de la grande comédie en vers le genre nouveau dont il avait le premier donné l’exemple. Cette pièce, long-temps arrêtée par la censure et jouée seulement depuis juillet 1830, n’a point réussi. Il faut l’avouer, à cette date récente, le parterre n’avait pas tout-à-fait tort. Je sais qu’un critique habile et très compétent[1] a dit, en parlant de la Journée des Dupes : « C’est une tentative nouvelle de cet infatigable athlète dont chaque ouvrage a été un essai, c’est une tentative digne du génie mâle et flexible qui a créé Agamemnon, Pinto et Frédégonde. » Mais le proverbe veut que les inventeurs se ruinent à mettre en œuvre une découverte qui fait souvent la fortune de ceux qui viennent ensuite. Le mot peut s’appliquer ici. Quoi qu’il en soit, la mémoire de M. Lemercier restera sûrement attachée à cette vive et charmante création de Pinto, qui a été aussi une découverte dans le meilleur sens du mot. L’auteur peut-il se dire toutefois plus heureux que Moïse, pour avoir passé le seuil de cette brillante terre promise, où l’on a élevé depuis tant de veaux d’or ?

Après Pinto, M. Lemercier, que poursuivait toujours le génie capricieux des tentatives, songea bientôt à revenir aux Grecs, à écrire quelques poèmes dans la manière antique. Le mot de Rousseau contre « les génies plagiaires d’eux-mêmes » semblait le menacer toujours, et, sans compter, il dispersa dès-lors sa force dans la variété et dans le nombre. Enhardi aux libres allures, il alla jusqu’à déclarer que « le génie fait sa langue, » et qu’on pouvait bien innover, puisqu’en leur temps les écrivains de Louis XIV avaient aussi été accusés d’innovation. De plus, l’école descriptive lui paraissait insuffisante, et le poète voulut mêler quelque action, quelque philosophie à l’uniforme procédé de Delille. De là deux récits épiques, Homère et Alexandre, que distingue une certaine fermeté de facture, mais dont l’épigraphe tirée de Martial (me raris juvat auribus placere) est un peu trop justifiée par une froideur qui rappelle bien plutôt Callimaque que Virgile.

M. Andrieux examina le poème d’Homère dans la Décade, et, tout en rendant malignement justice à la verve et à l’originalité de l’écrivain, à ses vers énergiques et serrés, il lui refusait, avec quelque raison, l’élégance et l’harmonie. Quel dommage, peut-on observer à ce propos, qu’on n’ait pas pétri ensemble, si j’ose le dire, Andrieux

  1. M. Ch. Magnin, Globe du 5 janvier 1828.