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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

pour que la pièce fût donnée au Théâtre-Français. M. Lemercier n’avait pas seize ans. Dès qu’on sut que Méléagre était l’œuvre d’un enfant, on se rappela Lagrange-Chancel, qui avait déjà offert l’exemple de ce prodige littéraire dans son Jugurtha. Il n’était bruit alors que du Cahier des notables, et on applaudit beaucoup à ce vers d’un roi sur ses peuples :

Nous ne régnons sur eux que pour les soulager.

Le censeur Suard, quoique devinant juste dans ses objections, n’avait pas trop osé exercer ses ciseaux sur un écolier protégé par la reine ; puis il y avait des compensations, et, sans aucun pressentiment de l’avenir, on battait des mains à ces mots de Méléagre venant mourir auprès de sa mère :

Périsse comme moi tout mortel téméraire
Qui porte sur son prince une main sanguinaire.

La pièce fut bien accueillie ; néanmoins M. Lemercier, par un sentiment délicat de pudeur littéraire, qui ne voulait pas ramener le public à l’essai d’un tout jeune homme, retira sa tragédie le lendemain, et ne la fit jamais imprimer, non plus que les autres pièces qui se succédèrent jusqu’à l’Agamemnon.

La critique traita en général ce début avec bienveillance : l’abbé Aubert, le Geoffroy d’alors, dont on prisait fort les articles de théâtre, en porta le plus favorable jugement dans les Petites Affiches, et le Mercure, bien qu’il trouvât le style de la pièce « jeune comme son auteur, » loua extrêmement l’énergie et l’imagination qui s’y décelaient. Grimm, de ce ton demi-dédaigneux et sardonique qui plaisait tant à Mme d’Épinay, loua M. Lemercier du bout des lèvres. Quant à La Harpe, que ses chutes rendaient fort ombrageux et morose à l’égard des débutans, il prononça d’un ton doctoral l’arrêt suivant : « Malgré l’indulgence que réclamait l’âge de l’auteur, le public n’a pas paru trouver en lui matière à encouragement. » C’était là une de ces assertions tranchantes, comme on ne s’en permet que trop dans les pronostics littéraires.

Le goût du théâtre ne détourna pas M. Lemercier des salons, où l’élégance de ses manières et la vivacité de son esprit lui assuraient le succès. La considération universelle dont jouissait son père eût suffi d’ailleurs à lui donner une position brillante, et la littérature n’était encore pour lui qu’une aimable distraction. Aussi, quand, par