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thode ; et si parfois elles donnent au livre une certaine sécheresse, je préfère encore, et de beaucoup, cette rigueur qui marche au but par la ligne droite, aux ambages et aux détours sans fin d’un lyrisme érudit, qui vise à l’épopée à propos des capitulaires. La méthode, la clarté, telles sont donc les qualités dominantes du livre de M. Lavallée, livre consciencieux où il y a bien des parties estimables, d’abord une connaissance suffisante des documens originaux et des travaux modernes, et aussi une grande sobriété de détails, et une impartialité d’autant plus remarquable, que l’auteur paraît fort épris du passé et des splendeurs du moyen-âge. Après avoir blâmé, quand il y a lieu, M. Lavallée fouille, jusque dans les replis les plus obscurs, les grandes mémoires historiques, et regarde jusqu’au fond de tous les souvenirs pour voir s’il n’y a pas aussi quelque chose à louer. Louis XI n’est pas seulement pour lui le terrible ami de Tristan ; c’est aussi le politique habile et fort qui suit, même à travers le sang, la voie qu’il s’est tracée, pour acquérir à son pays, au prix de ses propres remords, la force et l’unité. L’auteur est juste envers les erreurs, les ambitions de l’église, bien qu’il ait fait, dès les premières pages, une très religieuse profession de foi, et son respect pour les hautes et mystérieuses destinées du catholicisme n’entrave en rien la liberté de sa critique ; mais, par malheur, M. Lavallée n’a point échappé complètement à l’influence des idées humanitaires. Il voit des élémens de progrès là où d’autres seraient disposés à ne voir que de tristes et lamentables désastres, et il se console volontiers de la honte de Courtray, de Crécy et d’Azincourt, attendu que ces impitoyables tueries de nobles et de barons tournaient, en dernière analyse, au plus grand profit des serfs et des vilains, qu’elles débarrassaient de maîtres incommodes. Je doute fort, du reste, que le lendemain de ces mémorables funérailles, ce système de compensation ait trouvé beaucoup de partisans, même parmi la pédaille des communes. En général, M. Lavallée n’est heureux ni dans l’idée ni dans la forme, quand il rencontre sur sa route « l’humanité en travail et en progrès. » Il est vrai qu’il a souvent occasion de la trouver hors de la voie droite et plus près de la perdition que du salut ; mais il ne se désole point pour cela, car le progrès arrive à son heure, et sous toutes les formes, et l’humanité finit par se ruer toujours à la porte de l’avenir. Nous engageons M. Lavallée à ne pas confondre en une même admiration les écrivains qu’il signale dans sa préface comme les sources habituelles de ses inspirations philosophiques, et je ne sais trop comment il ne s’est point perdu dans un labyrinthe inextricable, en suivant tour à tour Bossuet et M. Buchez, Herder et M. Ballanche, Vico et Saint-Simon. Si, comme nous l’espérons, M. Lavallée conduit jusqu’à nos jours son remarquable travail, il lui sera difficile, sans aucun doute, de dégager avec unité, d’après les systèmes divers de ces esprits élevés, la formule humanitaire et progressive de notre société moderne, surtout en la soumettant au contrôle des souvenirs officiels du Moniteur.