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REVUE LITTÉRAIRE.

teaubriand a évoqué les Abencerrages, et l’attention s’est de nouveau tournée vers l’Escurial et l’Alhambra. M. Ferdinand Denis a donc rendu un service réel en restituant avec goût, sous une forme accessible à tous, à la science comme à la simple curiosité littéraire, les plus remarquables chroniques du Portugal et de l’Espagne. Une longue étude lui rendait familières les littératures qu’ont illustrées Cervantes et Camoëns, et il a apporté, dans le choix des légendes poétiques et des récits historiques, ce tact sûr que donne l’habitude d’un travail spécial. Les Sept Infans de Lara ouvrent le premier volume. C’est la chronique guerrière ; mais le mysticisme surgit bientôt, et Sainte Casilda offre à son tour l’un des types les plus élevés de la légende pieuse : de la sorte, du Xe siècle au XVIe, on rencontre tour à tour, serrés dans un même cadre, les rêves et les pieuses extases, les triomphes ou les désastres qui ont influé, pendant six cents ans, sur les destinées de deux grands peuples. M. Denis a su prendre, entre tant de souvenirs, ceux qu’un intérêt plus vif a rendus toujours présens ; et ces héros de l’amour ou des aventureuses conquêtes, dont l’Europe entière a adopté la mémoire, Inez, Fernand Cortez, don Sébastien, par exemple, sont aussi les héros de son livre. Il y a vraiment du charme à retrouver dans le récit original, tout empreint d’une couleur étrangère, et comme entourées de leur manteau castillan, ces nobles figures, tant de fois travesties dans des pastiches de seconde main. La traduction de M. Denis est rapide et concise ; il a fait souvent, au texte des historiens, des romanciers et des poètes, de nombreuses coupures, et ce procédé de dégagement nous paraît, en fait de chroniques et de poèmes du moyen-âge, d’une heureuse application. Nous ne doutons pas que cette publication ne fournisse au théâtre quelque canevas nouveau, car il y a dans toutes ces draperies mauresques de quoi tailler bien des costumes pour la scène. Les souvenirs de l’Espagne chevaleresque avaient inspiré le Cid, le Portugal a inspiré Pinto ; en voilà, sans doute, plus qu’il ne faut pour tenter bien des ambitions littéraires. Par malheur, le Tage ou le Guadalquivir ne roulent pas seulement des paillettes d’or, et je crains bien que tel qui voudrait atteindre à Corneille ne retombe tout simplement dans l’imbroglio de Bois-Robert ou de Scudéry, et ne se retrouve à 1630, tout en criant au progrès. Quand nous passons les Pyrénées pour en rapporter des études d’art, ne secouons pas toute discipline, parce que nous sommes en pays de guérillas ; on pourrait nous reprocher bientôt de faire du drame comme Cabrera fait la guerre.


Histoire des Français depuis les Gaulois, par M. Th. Lavallée[1]. — Notre histoire nationale est devenue à cette heure une chose commune et accessible à tous. Mais c’est trop peu de l’étudier : chacun veut l’écrire, ce qui, du reste, est assez facile, car au-delà de MM. Guizot, Thierry, Fauriel, Daunou, au-delà des maîtres dont on s’inspire en les louant, il y a Daniel, Velly, Hénault, Anquetil, que l’on copie, en ayant l’air de les dédaigner ; il est, en

  1. Trois vol. in-8o, chez Paulin, rue de Seine.