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LETTRES POLITIQUES.

serait concevoir l’espérance de remplacer ; elle comprend qu’une crise ministérielle l’éloignerait du pouvoir, loin de l’en rapprocher. Ce n’est pas trop présumer de la sagacité de M. Barrot que de supposer qu’il voit ceci clairement. Le pouvoir, en échappant aux mains du ministère du 12 mai, irait évidemment aux hommes de l’ancienne majorité, qui forment après tout la seule portion compacte de la chambre, et auxquels une alliance conclue, soit avec le chef du centre gauche, soit avec celui de l’ancien centre droit, assurerait une incontestable prépondérance. Un ministère formé par la réunion de l’élément doctrinaire à l’opinion gouvernementale, ou par l’association de M. Thiers aux amis de M. le comte Molé, c’est là une double éventualité que la gauche dynastique, ambitieuse et pressée pour son propre compte, ne saurait envisager sans une vive appréhension : elle sent que sa creuse rhétorique n’agite pas le pays, que les forces vives du parti démocratique l’abandonnent de plus en plus ; et, réduite à un bagage de lieux communs sans portée dans le parlement en même temps que sans écho au dehors, elle comprend qu’une majorité constituée autour d’un ministère définitif lui porterait un coup dont il est difficile de prévoir comment elle parviendrait à se relever. La gauche entend donc maintenir le cabinet, qui lui fait après tout une assez supportable position. Celui-ci repousse, il est vrai, ses quatre cent mille électeurs ; mais combien n’a-t-il pas jeté de gâteaux de miel aux agitateurs que vous savez ! Combien certains de ses membres ne sont-ils pas empressés de complaire à ces intrépides solliciteurs qui dépensent en petite monnaie d’antichambre leur patriotisme de l’an dernier ! Tant qu’à rester dans l’opposition, situation dont on commence à se lasser par pur amour du pays sans doute, mieux vaut en faire contre le 12 mai que contre le 15 avril ressuscité et rajeuni ; ainsi raisonne la gauche à laquelle des défections éclatantes viennent révéler chaque jour tout ce qu’il y a dans ses rangs d’ambitions impatientes et de vertus faciles. Ce parti a grandement raison, monsieur, et vous pouvez tenir pour certain que s’il se décide à faire grand bruit à la tribune et dans ses journaux, que s’il attaque le cabinet, ce sera avec des fusils chargés à poudre.

Celui-ci rencontrera au centre gauche des adversaires plus sérieux, des passions plus irréconciliables. Il n’y a pas à s’étonner, en effet, qu’un parti parlementaire, qu’on s’était habitué à regarder comme maître de la situation, soit profondément blessé d’une défection qui lui a ôté une grande partie de son importance. Il est tout simple qu’on garde rancune aux lieutenans qui ont quitté l’armée