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dente, qui, à son tour, sort d’une vérité antérieure, et chacune d’elles vous paraissant tour à tour principe et conséquence, il vous faudra remonter de théorème en théorème jusqu’à des vérités premières qui aient leur raison en elles-mêmes, qui soient principes, sans être conséquences, c’est-à-dire jusqu’à la définition du triangle, de l’angle, du cercle, de la ligne droite. Les définitions seules sont productives. Sans les axiomes, la science est impossible, mais ils ne font pas la science ; sans eux, il n’est pas permis d’établir un principe, de déduire une conséquence, mais ils ne sont ni ces principes, ni ces conséquences. Il y a donc des vérités géométriques qui reposent sur le principe de contradiction, mais les vrais principes géométriques sont les définitions, c’est-à-dire des jugemens synthétiques à priori.

Les principes de la haute physique sont de la même nature. Je prends les deux exemples donnés par Kant : — Dans tout changement du monde matériel, la quantité de matière doit rester la même ; dans toute communication du mouvement, l’action et la réaction doivent être égales. — Ce sont évidemment là des jugemens synthétiques, car l’idée de matière n’implique pas le moins du monde que dans tous les changemens la quantité de matière est la même ; de même on peut avoir l’idée de mouvement sans en déduire que l’action et la réaction sont toujours égales. J’ajoute d’un côté à la notion de matière, de l’autre à celle de mouvement, des notions qui n’y étaient pas contenues, je fais un jugement synthétique. De plus, ce jugement a le caractère de l’universalité, de la nécessité, il n’est donc pas dû à l’expérience ; il est donc synthétique à priori.

Il n’est pas difficile de se convaincre que la métaphysique repose également sur des jugemens synthétiques à priori. Il y a, selon Kant, une métaphysique naturelle qui a toujours été, qui sera toujours, à savoir l’ardente curiosité de voir clair dans des questions que l’intelligence humaine se propose éternellement ; ces questions sont Dieu, l’ame, le monde, son éternité ou son commencement, etc. Voilà les objets de la métaphysique ; ses principes sont les principes même à l’aide desquels l’intelligence humaine tente de résoudre les questions auxquelles elle ne peut échapper ; il suffit d’en citer quelques-uns : tout ce qui arrive a une cause ; tout phénomène, toute qualité suppose un sujet ; tout évènement suppose le temps ; tout corps l’espace, etc. Or, examinez ces principes, et vous verrez que ce ne sont pas moins que des jugemens synthétiques à priori, car le second terme du rapport que ces jugemens expriment n’est nullement renfermé dans le premier ; le temps n’est pas renfermé dans l’évène-