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PHILOSOPHIE DE KANT.

des phénomènes l’autorité de lois, et de l’autre main les expériences qu’elle a instituées d’après ces mêmes principes. La raison demande à la nature de l’instruire, non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais comme un juge légitime qui force les témoins de répondre aux questions qu’il leur adresse. La physique doit l’heureux changement de sa méthode à cette idée : que la raison cherche, je ne dis pas imagine, dans la nature, conformément à ses propres principes, ce qu’elle doit apprendre de la nature, et ce dont elle ne peut rien savoir par elle-même. C’est ainsi que la physique s’est établie sur le terrain solide d’une science, après n’avoir fait qu’errer et tâtonner pendant tant de siècles. »

Maintenant, pourquoi la métaphysique n’est-elle pas aussi avancée que la haute physique, la logique et les mathématiques ? Remarquons d’abord que la métaphysique n’est point une étude arbitraire, née d’un caprice de l’orgueil, et à laquelle il nous soit libre de renoncer. Dieu, le monde, l’ame, l’existence future, sont des objets qui provoquent sans cesse la curiosité de l’esprit humain, et auxquels il revient sans cesse, car notre nature se sent dégradée lorsqu’elle les néglige. L’esprit humain a eu beau vouloir se condamner et se résigner, non-seulement à l’ignorance, mais à l’indifférence en métaphysique ; il a été forcé de casser les arrêts qu’il avait rendus contre lui-même. Il faut consentir à sa condition, et puisque notre condition est d’être hommes, nous devons agiter les problèmes humains.

Mais pourquoi tant de solutions à ces problèmes, et tant de diversité dans ces solutions ? S’il était donné à la nature humaine de trouver la vérité en métaphysique, comment tant de grands hommes, tant de génies sublimes, qui en ont fait leur étude, n’y seraient-ils point parvenus ? En un mot, pourquoi tant de certitude dans d’autres sciences, et tant d’incertitude en métaphysique ?

Si l’on veut bien se rappeler la marche des sciences et réduire le principe de leurs progrès à sa plus simple expression, on trouve qu’elles avancent à condition de négliger la partie extérieure et variable des choses sur lesquelles elles travaillent, et d’en considérer exclusivement la partie invariable et constante, c’est-à-dire la partie que l’esprit humain met dans toutes ses connaissances. Les lois qui sont la base de la logique, de la métaphysique et des mathématiques, et qui fondent la certitude de ces sciences, ne sont autre chose que des lois de l’esprit humain lui-même ; c’est donc, rigoureusement parlant, dans la nature de l’esprit humain, indépendamment de toute