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triangle équilatéral, ce premier pas ouvrit la carrière. La formule de Thalès en fit découvrir d’autres, et peu à peu la science mathématique se forma. En quoi consiste-t-elle ? Dans l’étude de propriétés constantes, qui n’existent pas dans la nature, et qui sont des conceptions de l’esprit, de la raison, agissant d’après les lois qui lui sont propres sur les données fournies par la nature, et abstraction faite de ce que ces données ont de variable et d’incertain.

Il en était de la physique avant Galilée comme des mathématiques avant Thalès. La physique ancienne n’était qu’un amas d’hypothèses. Les physiciens modernes antérieurs à Galilée abandonnèrent les hypothèses, se mirent en présence de la nature, observèrent et recueillirent les phénomènes qu’elle leur présentait. C’était déjà quelque chose ; mais ce n’est pas encore de là que date la vraie physique, elle n’a commencé qu’avec Galilée. Galilée et d’autres conçurent l’idée de ne plus s’en tenir à la simple observation, aux classifications superficielles et aux lois empiriques qui en résultent. Ils reconnurent qu’il appartient à l’homme d’être le juge et non le disciple passif de la nature : ils posèrent des problèmes physiques à priori, et, pour résoudre ces problèmes, ils entreprirent des expériences qu’ils dirigèrent d’après les principes que leur suggéra la raison. Ce fut donc la raison qu’ils suivirent, même en travaillant sur la nature ; ce furent les principes de cette raison qu’ils cherchèrent dans la nature, et c’est en devenant rationnelle que la physique devint une science. Mais au lieu d’interpréter Kant, il vaut mieux le laisser ici parler lui-même.

« Depuis que Galilée eut fait rouler sur un plan incliné des boules dont il avait lui-même choisi le poids, ou que Toricelli eut fait porter à l’air un poids qu’il savait être égal à une colonne d’eau à lui connue, ou que plus tard Stahl eut transformé des métaux en chaux, et celle-ci en métaux par la suppression et l’addition de certaines parties, depuis ce moment un flambeau a été donné aux naturalistes. Ils ont reconnu que la raison ne conçoit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans, qu’elle doit prendre les devans avec ses propres principes, et forcer la nature de répondre à ses questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme à la lisière. Autrement, les observations accidentelles et faites sans aucun plan arrêté d’avance ne peuvent s’accorder entre elles faute de se rapporter à une loi nécessaire ; et c’est là pourtant ce que la raison cherche, et ce dont elle a besoin. La raison doit se présenter à la nature, tenant d’une main ses principes, qui seuls peuvent donner à l’ensemble et à l’harmonie