Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/392

Cette page a été validée par deux contributeurs.
388
REVUE DES DEUX MONDES.

esprits une fois sortis de la vieille autorité, n’en surent plus reconnaître aucune ; le luthéranisme eut aussi ses schismes, le calvinisme ses bûchers, et ce qui restait de foi ne sut plus à quelle forme se prendre et s’arrêter. La poésie, consacrée à chanter les croyances, les sentimens, les évènemens nés d’une forme religieuse et politique qui n’était plus, cessa d’être populaire ; et comme une révolution n’est pas une situation, et que la poésie vit de formes déterminées, cette absence de formes ne fit pas éclore de poètes, et c’en fut fait de la poésie allemande. La philosophie du protestantisme suivit sa fortune. On vit s’élever en Allemagne une infinie variété d’écoles où la vieille scholastique subit des améliorations, c’est-à-dire des altérations continuelles ; mais au milieu de cette confusion on ne trouve rien de grand, rien d’original, rien qui soit digne d’occuper sérieusement l’histoire.

Cependant un homme de génie, en France, détruisait à jamais la scholastique, et sur ses ruines élevait un système entièrement nouveau dans sa méthode et dans ses directions générales. Ce système, ou du moins son esprit, se répandit parmi les plus beaux génies du siècle de Louis XIV. Bossuet lui-même, quoiqu’il ne l’avouât pas, Fénelon, Malebranche et messieurs de Port-Royal étaient cartésiens. En Hollande, Spinoza n’a fait autre chose que tirer des conséquences rigoureuses des principes de Descartes. La philosophie nouvelle gagna aussi l’Allemagne, et elle fut enseignée et imitée par des docteurs allemands, comme autrefois les poésies provençales avaient eu des imitateurs sur les bords du Rhin. Leibnitz, dont on ne peut trop admirer le génie, Leibnitz lui-même est un disciple de Descartes, disciple, il est vrai, qui a surpassé son maître, mais qui, malheureusement entraîné par une curiosité universelle, la passion de toutes les gloires et les distractions de la vie politique, n’a jeté que d’admirables vues, sans fonder un système net et précis. Wolf tenta de ramener les vues éparses du grand polygraphe à un centre commun et de les réduire en un système régulier ; mais Wolf reproduisit plutôt les formes que l’esprit de la philosophie leibnitzienne. Ceux qui vinrent après lui continuèrent cette nouvelle scholastique, et c’est un fait incontestable qu’au milieu et vers la fin du XVIIIe siècle on ne trouve en Allemagne aucun système qui domine assez les esprits pour paraître une véritable philosophie allemande.

Les choses en étaient là, lorsque l’Allemagne entra en relation plus intime avec l’Europe philosophique qui avait cessé d’être cartésienne. L’Angleterre était tombée sous le joug du système de Locke,