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Il se trompe cependant, il prend une déviation accidentelle pour un changement de direction, et une halte pour le terme de la carrière.

Ainsi, c’était une erreur d’imaginer que la révolution après Robespierre se reposerait dans la république. La France n’a jamais été républicaine. C’est son génie éminemment unitaire et monarchique qui, de bonne heure, sapait en-deçà du Rhin la république féodale, et qui n’a jamais permis à la république municipale de s’établir et de briller en-deçà des Alpes. Qui pourrait le regretter en comparant l’état présent de la France à celui de l’Allemagne, de l’Italie, même de la Suisse ? La république de 1792 n’a été qu’un accident, une explosion de colère, furor brevis. Il y avait déjà quelques tendances monarchiques, même dans la constitution de l’an III et dans ces fêtes et ces splendeurs un peu théâtrales, passablement burlesques, des cinq proconsuls du Luxembourg.

C’était une erreur plus manifeste encore, si manifeste qu’elle ne pouvait être involontaire, que de ne pas voir une monarchie dans le consulat.

Mais la monarchie du consulat, comme la monarchie de l’empire, n’était pas l’ordre nouveau que la France voulait et que la révolution de 1789 avait eu le dessein et la mission d’établir. Ce que la France avait voulu, c’était dans l’ordre social l’égalité civile, dans l’ordre politique l’alliance de la monarchie avec la liberté, la participation du pays au gouvernement du pays, la monarchie représentative.

Nous en appelons aux souvenirs des partisans les plus dévoués, des admirateurs les plus sincères de Napoléon. Qu’ils disent si l’opinion générale, si leur propre conscience, n’avaient pas toujours besoin de lui pardonner quelque chose dont il fallait l’excuser par la grandeur de ses exploits, l’éclat de sa gloire et le rang de la France impériale dans le monde. Bien malheureux serait celui qui ne concevrait pas l’admiration, l’enthousiasme, le dévouement, même excessif, pour un grand homme, pour un génie qui n’a peut-être pas de supérieur dans l’histoire, pour celui qui avait élevé à une si prodigieuse hauteur la puissance française, pour celui que connaissent et vénèrent l’Arabe du désert, le sauvage de l’Amérique, l’Australasien et l’Indou. Mais toujours est-il qu’il y avait au fond des cœurs une pensée qu’il n’avait pas satisfaite, une pensée sur laquelle ses admirateurs les plus dévoués cherchaient à s’étourdir, une pensée que dans l’intimité on osait avouer, et dont l’accomplissement, disait-on, était réservé à d’autres temps, aux jours de la vieillesse