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treize ans, avec Zénobie del Carreto, princesse de Melfi dans la Pouille, pour la somme de 212,697 ducats ; mais le prince de Stigliano ayant enchéri sur la princesse Zénobie, et offrant 216,160 ducats, le duché lui fut adjugé. Ce marché avait lieu en 1584. Qu’eussent dit les consuls, les sénateurs et les doges d’Amalfi, s’ils eussent vu leur république, maîtresse de la Méditerranée pendant deux siècles, adjugée au plus offrant pour quelques milliers de ducats ?

Les descendans de ces républicains avaient toutefois conservé assez d’amour-propre national pour s’indigner d’un tel marché. Le prince de Stigliano n’ayant pu en effectuer le paiement sur-le-champ, les habitans d’Amalfi rassemblèrent aussitôt la somme convenue, et réclamèrent auprès du domaine royal la préférence dans une pareille vente. Cette préférence leur fut accordée ; les Amalfitains purent donc se racheter, et firent, du reste, une bonne affaire, car dans l’espace de six mois au plus ils trouvèrent moyen de revendre au plus offrant les nombreux fiefs qui dépendaient de leur duché, et ils retirèrent de cette vente un bénéfice de près d’un million de ducats.

Les Amalfitains, dans cette circonstance, avaient su réunir à l’amour-propre national le génie commercial de leurs ancêtres ; on eût pu les croire d’un autre siècle.

Ce singulier marché est, en quelque sorte, la dernière page de l’histoire d’Amalfi, qui n’est plus qu’un bourg du second ordre, et qui suit la fortune du royaume de Naples, dont il fait partie. L’Europe avait depuis long-temps oublié l’existence et jusqu’au nom de la petite république, lorsqu’une éclatante et singulière catastrophe vint tout à coup le lui remettre en mémoire. Naples tout entière s’était soulevée, ses lazarroni demi-nus avaient vaincu les vieilles bandes espagnoles et frappé de terreur le duc d’Arcos, son orgueilleux vice-roi ; pendant plusieurs jours, cette formidable populace avait obéi à un des siens comme à un roi, réclamant, par son organe, avec une effrayante unanimité, le rétablissement de ses priviléges garantis par Charles-Quint, et la suppression des taxes qui l’écrasaient. Cet élu de la grande cité, qui, à son gré, apaisait ou soulevait la tempête populaire, c’était Thomas Agnello, un jeune pêcheur d’un petit port de la côte qui s’appelait Amalfi.


Frédéric Mercey.