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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

détruisit le port, et du même coup abîma les quartiers qui l’avoisinaient et rasa tous les édifices bâtis sur la plage[1]. Le désastre fut complet et sans remède ; des bancs de galets, que la mer venait battre, s’accumulèrent à la place occupée naguère par la ville et le port. De ce jour, tout commerce cessa, et comme république, comme ville commerçante et comme port, Amalfi n’exista plus.

La ruine si rapide d’Amalfi semble justifier cette remarque de Montesquieu, que les puissances fondées par le commerce peuvent subsister long-temps dans la médiocrité, mais que leur grandeur est de peu de durée ; elles s’élèvent peu à peu et sans que personne s’en aperçoive, car elles ne font aucun acte particulier qui excite l’attention et signale leur puissance ; mais lorsque la chose est venue au point qu’on ne peut s’empêcher de la voir, chacun cherche à priver la nation commerçante d’un avantage qu’elle n’a pris, pour ainsi dire, que par surprise. Nous voyons, en effet, les Lombards, puis les Normands, puis les Pisans, aidés des Génois, commencer ou achever la ruine du petit état d’Amalfi, qui ne devait son importance qu’à ses relations et à son commerce.

La cité d’Amalfi était déjà singulièrement déchue de son opulence et de sa grandeur, lorsqu’en 1254, ressentant sans doute quelques velléités de liberté, elle suivit le parti guelfe, et, embrassant la cause du pape Innocent IV, se souleva contre Manfred. Manfred, ayant reconquis son royaume à l’aide de ses Sarrasins de Nocera, se vengea avec un certain dédain de la rébellion des Amalfitains. Il se contenta de faire occuper Atrani, qui alors faisait partie d’Amalfi, et dont l’archevêque avait été l’instigateur de la révolte, par un corps de mille Sarrasins, et de fermer l’église archiépiscopale, dont il accorda les bénéfices et les rentes au fameux Jean de Procida, son médecin, son ami et son conseil.

La garnison sarrasine occupa long-temps Atrani, exerçant toutes sortes de vexations et de rapines dans le pays, et ne respectant pas même les nombreux couvens de femmes situés aux environs de la ville. Les victimes du libertinage des Africains furent très nombreuses et choisies dans toutes les classes du peuple. De nos jours, la population d’Atrani est encore considérée par ses voisins comme à demi sarrasine. Les habitans d’Amalfi eux-mêmes n’ont point assez de moqueries contre la prétendue prononciation arabe de leurs anciens concitoyens, dont les accens gutturaux dégoûtent, disent-ils, merveilleusement les oreilles[2].

Dans les siècles qui suivirent, la bourgade d’Amalfi appartint tour à tour à des princes des maisons Colonne et Orsini, auxquels les souverains de Naples en firent don, et aux Piccolomini, alliés à la maison d’Aragon. Ces derniers princes étaient en marché pour la vente de ce duché qu’ils avaient possédé cent

  1. La même tempête brisa tous les vaisseaux à l’ancre dans le port de Naples et ruina la plupart des ports des Calabres et de l’Adriatique.
  2. La cui pronunzia disgutta mirabilmente le orrechie. (Matteo Camera.)