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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

sin, que le Tasse a immortalisé dans son poème, était au nombre de ces chevaliers. La fleur de l’armée de Roger imita l’exemple de Bohémond et de ses compagnons. Remplis d’enthousiasme et s’écriant : Dieu le veut ! tous firent serment de ne revenir en Europe que lorsqu’ils auraient conquis la cité sainte. Peu de jours après, l’armée de Bohémond et une partie de celle de Roger suivaient le chemin de Reggio, où ils devaient s’embarquer pour l’Orient. Cette espèce de désertion avait rempli Roger d’une violente indignation ; il fallut bien néanmoins qu’il renonçât à l’espoir de soumettre Amalfi qu’il bloquait depuis six mois. Il leva donc le siége, ramena ses soldats dans la Pouille, et attendit une occasion plus favorable[1].

Cette occasion ne se présenta que cinq ans plus tard, en 1101. Amalfi, surprise, dut se soumettre au prince normand ; mais en 1131 elle avait recouvré son indépendance, car à cette époque nous voyons le roi Roger de Sicile, héritier des ducs de Pouille, sommer ses citoyens de lui livrer leurs forteresses et de faire abandon de leurs priviléges, contraires, disait-il, à ses prérogatives royales, et sur leur refus assiéger de nouveau leur ville. Leur défense fut opiniâtre ; ils rappelèrent leurs vaisseaux, armèrent toutes les forteresses de la côte, et jurèrent de s’ensevelir sous les ruines de leur ville plutôt que de reconnaître un roi absolu. Attaqués d’un côté par l’armée normande, de l’autre par la flotte sicilienne, que commandait George d’Antioche, amiral du roi, ils tinrent bravement tête à l’orage. Les garnisons qu’ils avaient mises dans les petits châteaux de la côte ne restaient pas inactives et incommodaient fort les assiégeans ; Roger fut donc obligé d’attaquer ces châteaux et de les emporter successivement, aucune des garnisons n’ayant voulu se rendre qu’après plusieurs assauts, dans lesquels périt la fleur des milices de la république. Caprée et le fort de Guallo dans les îles des Syrènes furent soumis les premiers ; les assiégeans s’emparèrent bientôt de Ravello et de la Scala ; Majori, Tramonti, Cetara, succombèrent ensuite ; enfin, après une résistance qui avait duré une année entière, Amalfi, privée de tout secours, se vit à la merci du roi Roger ; sa liberté était donc perdue, et de plus elle avait à redouter la vengeance d’un vainqueur irrité. Cependant Roger lui laissa une ombre d’indépendance, et traita ses citoyens avec douceur. Parmi les chroniqueurs, les uns attribuent cette conduite magnanime du vainqueur à l’intercession de saint André, patron d’Amalfi ; les autres racontent une histoire moins surnaturelle, mais fort peu vraisemblable. La nuit qui précéda la soumission de la ville, le roi Roger, disent-ils, fut tiré subitement de son sommeil par une voix qui l’appelait doucement ; Roger ouvrit les yeux, et, se levant sur son séant, vit debout à son chevet un homme, armé d’une hache sanglante, et tout prêt à lui ouvrir le crâne s’il appelait. — Qui es-tu ? lui dit le roi ; un ange, ou un mauvais esprit ? — Je suis un homme comme toi, un homme qui, tu le vois, est maître de ta vie. — D’où viens-tu, et que me veux-tu ? — Je viens d’Amalfi ; cette hache m’a ouvert la porte de ta tente,

  1. Lupi Prostapata, chron. an. 1096.