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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

mes paroles, mais tu me croiras quand tu sauras que ce riche bonnet que je porte est un présent du prince généreux qu’on veut dépouiller.

Le marchand ajouta foi aux avertissemens de l’Arabe. Il s’empressa de terminer ses affaires, retourna dans son pays, passa à Salerne, et instruisit Guaifar des projets des Sarrasins. Ce prince profita de l’avis et se hâta de fortifier les endroits faibles de sa ville. Ces travaux étaient à peine terminés, qu’une flotte nombreuse débarqua trente mille Sarrasins sous les murs de Salerne. Ils croyaient emporter la ville de vive force ; mais, trouvant ses habitans sur leurs gardes, ils se contentèrent de la bloquer. Ce blocus dura treize mois, pendant lesquels les assiégés, manquant de vivres, furent réduits aux plus cruelles extrémités. Amalfi était alors en paix avec les Sarrasins ; Marino, un de ses consuls, n’hésita pas à rompre une paix si fatale à ses voisins et vint avec sa flotte ravitailler la ville assiégée. Malgré ce secours, Salerne allait succomber, quand un évènement inespéré vint jeter l’épouvante dans l’ame des Sarrasins et leur ôter une partie de leur confiance.

Abdila leur général avait établi ses logemens dans une église. Du chœur de cette église il avait fait sa chambre à coucher, et de l’autel son lit. Là, chaque nuit, des jeunes filles du pays ou des religieuses des couvens voisins, enlevées par ses satellites, étaient victimes de sa lubricité. Un jour qu’on lui avait amené une jeune campagnarde, Abdila voulut la prendre dans ses bras ; mais la robuste fille opposa une si vigoureuse résistance à ses tentatives, que dans la lutte une poutre se détacha du dais de l’autel et tua l’infidèle sans la toucher. Les Sarrasins furent épouvantés de cette mort, qu’ils regardèrent comme un châtiment du ciel. Ils ne renoncèrent pourtant pas à leurs attaques, et peut-être eussent-ils fini par s’emparer de la ville aux abois, si l’empereur Louis II n’eût fait mine de venir à son secours. Les Sarrasins effrayés garrottèrent leur général Abimelech, qui s’opiniâtrait à ne pas lever le siége, et s’embarquèrent avec tant de précipitation, qu’ils laissèrent tous leurs bagages dans leur camp et des vivres en abondance[1].

L’héroïsme qui avait poussé les Amalfitains à secourir Salerne assiégée, les mit à deux doigts de leur perte. Les Sarrasins, décidés à tirer vengeance de leur mauvais succès, couvrirent la mer Tyrrhénienne de leurs vaisseaux et menacèrent le territoire de la république. Ces petits états du midi de l’Italie étaient encore trop faibles pour se mesurer contre ces hordes innombrables, et le danger qu’avait couru Salerne les effrayait. Il fallut donc transiger et conclure à de dures conditions une paix peu honorable. Par ce traité, les républiques d’Amalfi, de Naples et de Gaëte, et la principauté de Salerne, s’alliaient aux Sarrasins et devaient réunir leurs milices aux armées arabes pour conquérir les états du pape.

Cette alliance avec les Sarrasins, imposée par la nécessité, était toute politique et ne devait être que temporaire. En effet, aussitôt le danger passé,

  1. Anonym. Salern., cap. CXXI.