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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

rant des districts de l’est, annoncèrent qu’une troupe considérable de gens armés venait de traverser leurs montagnes, et que, se glissant par des sentiers regardés comme impraticables, ces soldats avaient déjà investi la ville. Les magistrats coururent au palais et firent sonner les cloches d’alarme ; mais, avant que les milices eussent pu prendre les armes et se rassembler, les soldats de Sicard avaient déjà pénétré dans la ville. Tout ce qui résista fut mis à mort, tout ce qui ne put s’enfuir à temps fut fait prisonnier, et plus tard conduit à Salerne. Les maisons, les palais et les temples furent pillés ; les tombeaux même furent profanés. On raconte à ce sujet que des soldats, ayant découvert dans la cathédrale la tombe encore nouvelle de l’archevêque Pierre et s’imaginant y trouver des trésors, brisèrent le marbre qui la recouvrait, s’y glissèrent, et, n’y trouvant qu’un cadavre dont la pourriture détachait les membres, s’enfuirent en l’abandonnant aux chiens.

Satisfait de s’être vengé des Amalfitains et croyant leur ville détruite parce qu’il avait ruiné ses maisons et réduit en esclavage une partie de ses habitans, Sicard négligea de s’y établir ou d’y laisser garnison. Amalfi ne perdit donc que des richesses et des citoyens ; elle ne perdit pas son indépendance. Aussi, deux années après cette catastrophe, se releva-t-elle glorieusement de ses ruines. Ceux des Amalfitains qui s’étaient dérobés par la fuite à la vengeance de Sicard, revenus dans leur ville, ne tardèrent pas à entrer en relations avec leurs concitoyens captifs et à chercher les moyens de les délivrer. La mort de Sicard, tué l’année suivante dans la cathédrale de Bénévent par des citadins dont il avait outragé les femmes, en face de cette même relique qu’il avait dérobée aux Amalfitains, leur fournit une occasion qu’ils s’empressèrent de saisir. Les citoyens que le duc lombard avait séduits, revenus de leur erreur et rapprochés de leurs concitoyens par le malheur, se disaient l’un à l’autre : « Il est mort, celui qui nous a comblés de ses largesses ! un inconnu va venir, qui nous fera endurer la plus cruelle servitude, qui prendra nos filles et les donnera à ses valets[1]. » Ils se réunirent donc à leurs compatriotes, résolus, comme eux, à redevenir libres. L’élection d’un nouveau duc avait divisé les habitans de Bénévent et de Salerne ; la saison d’automne étant venue sur ces entrefaites, les Salernitains quittèrent la ville en grand nombre, pour faire leurs vendanges et jouir des plaisirs des champs dans leurs villa. Les Amalfitains captifs dépêchèrent aussitôt des messagers à leurs concitoyens, qui, le jour même, profitant d’un vent favorable, se présentèrent devant Salerne, montés sur toutes les galères qu’ils avaient pu réunir. À peine les captifs eurent-ils aperçu leur flotte cinglant vers la ville, qu’ils s’armèrent, coururent aux palais et aux églises qu’ils pillèrent par représailles ; ayant ensuite chargé leurs vaisseaux des dépouilles de la riche Salerne (doviziosa Salerno), ils mirent le feu aux quatre coins de la ville et

  1. Aiebant Amalfitani vicissim inter se : Ille, qui nobis opes varias tribuit abundanter extinctus est, veniet ignotus alius ; in servitutem nos deducet, filiasque nostras tollet et suis servis dabit. (Anonym. Salern., cap. LXIX.)