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matie, aux environs de Raguse. Les habitans du pays les accueillirent d’abord avec l’humanité qu’on doit à des naufragés. Le respect que ces peuples portaient encore au nom romain les engagea même à leur offrir des terres où ils pourraient s’établir ; mais bientôt, les trouvant trop nombreux, ils les craignirent ; les voyant riches, ils les envièrent ; ils firent plus, ils conspirèrent la perte de leurs hôtes.

Les Romains, contraints de se rembarquer, furent poussés par une nouvelle tempête sur les côtes de la Lucanie, aux environs du cap Palinure, non loin de Pœstum. Là ils descendirent à l’embouchure du petit fleuve Molpha, ou Melfi[1], et fondèrent une ville à laquelle ils donnèrent le nom de ce fleuve. Leur séjour dans cette ville fut encore de courte durée. Les Barbares avaient envahi l’Italie ; les villes situées aux bords des fleuves et dans les plaines étaient exposées à leurs déprédations ; la plupart des colons de Melfi désertèrent donc leur ville ; qui ne tarda pas à être ruinée de fond en comble. On voit encore au midi du village de Molpha, construit sur l’emplacement de la ville antique, une vaste grotte, appelée la grotta delle Ossa, où sont entassés des monceaux d’ossemens humains pétrifiés. Les gens du pays racontent que ce sont les ossemens des habitans de Melfi qui ne s’étaient pas retirés à temps devant les Barbares. Orose, qui écrivait cinquante ans après la prise de Rome par Alaric, prétend que ces ossemens appartenaient aux naufragés d’une flotte romaine qui, vers la fin de la république, s’était perdue dans ces parages à son retour d’Afrique[2].

En quittant Melfi, la colonie romaine s’était réfugiée à Éboli ; mais cette ville, quoique protégée par une double chaîne de montagnes, n’était pas encore à l’abri des incursions des Barbares ; il fallait donc trouver un nouvel asile[3].

Vers le centre de l’échancrure que forme le golfe de Salerne, au fond d’une petite baie comprise entre le cap du Tombeau et le promontoire de la Conque, s’élève un énorme rocher taillé à pic sur trois de ses faces. Ce rocher, séparé de la grande chaîne du mont Saint-Angelo par de profonds ravins et isolé du reste de la côte par deux torrens qui, à sa droite et à sa gauche, coulent au fond d’étroites vallées, fait face à la mer dans laquelle sa base plonge perpendiculairement. Ce rocher offrait donc à la colonie l’inaccessible refuge qu’elle cherchait ; ses barques pouvaient s’abriter sur le rivage et à l’embouchure des deux torrens ; de vastes pâturages couvraient la cime des monts voisins, et à leur base croissaient la vigne, l’olivier, l’oranger et le figuier. Ce roc faisait partie

  1. Et non à Melphi dans la Pouille, comme l’ont avancé quelques auteurs, entre autres M. de Sismondi. Melphi dans la Pouille est située à quarante milles du cap Palinure, dans l’intérieur des terres. De plus, cette ville n’a été fondée qu’en 937.
  2. P. Orose, lib. IV, cap. IX.
  3. Et quia similiter dictus locus Ebuli non erat tutus propter continua prælia… rapinas, etc. Deliberaverunt quietudinem requirere quæ tum temporis in Italiam non reperiebatur nisi in hæremis ac asperrimis locis et montaneis. (Chronic. amalphitanum.)