Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/337

Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

Moreau était d’habitude un rêveur sombre, une nature sauvage, un poète exclusivement élégiaque ou satirique. Eh bien ! nous leur pouvons garantir que c’est généralement le contraire. Moreau était avant tout un esprit aimable, vif, enjoué, qui eût produit les plus charmantes choses, s’il eût vécu dans une région plus sereine ; si, par exemple, il se fût tenu sagement dans sa ville natale, occupé à quelque honnête travail. Le fiel qui lui a rongé le cœur n’a fait invasion que plus tard, après la fièvre des ambitions trompées. On trouve non sans plaisir en tête du Myosotis plusieurs contes en prose fort agréables et fort naïvement écrits, l’un entr’autres, Thérèse Sureau, où perce une raillerie fine et du meilleur goût contre les femmes incomprises et en général contre l’ambition littéraire. On ne serait guère tenté de penser que l’auteur sera lui-même un jour victime de cette ambition qu’il raille, et la plupart de ces historiettes, la dernière surtout, ne font nullement reconnaître le poète de l’Élégie à Loyson.

Les qualités les plus distinctives du talent poétique d’Hégésippe Moreau me paraissent être en effet la grace et la fraîcheur. Or, c’est là justement ce qu’on a omis de faire remarquer jusqu’ici, du moins dans un jour suffisant. On n’a qu’à feuilleter le volume du Myosotis, et l’on se convaincra bientôt que, pour un morceau d’amertume et de colère, il y a dix pièces toutes d’une inspiration riante et d’un style plein de gaieté. Souvenir d’enfance, les Contes, les Cloches, les Deux Amours sont dans ce ton, et bien d’autres moins heureuses ou d’une allure plus risquée, telles que l’Écolière, le Joli costume, les Modistes hospitalières. En allant plus loin encore, on trouverait le genre gaillard comme dans le Tocsin, ou indévot comme dans le Dernier jour et les Noces de Cana. En restant dans le milieu tempéré, on lit avec émotion l’Oiseau que j’attends, Si vous m’aimiez, Soyez bénie, et deux ou trois encore. La Voulzie est une élégie, mais du ton le plus gracieux et le plus frais. Moreau, au milieu des angoisses de la vie parisienne, aimait à se souvenir de son pays natal, cet asile où notre cœur se réfugie dans l’infortune ; il se prenait à regretter les jours de son enfance, et les objets qui avaient charmé ses premiers regards. Le titre de cette pièce rappelle précisément un des lieux auxquels il resongeait par prédilection, et que son imagination se plaisait le plus à embellir.


S’il est un nom bien doux, fait pour la poésie,
Oh ! dites, n’est-ce pas le nom de la Voulzie ?
La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes îles ? Non ;