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nerait que des moyens d’existence très précaires et vraisemblablement très insuffisans. La plupart de ceux qui rédigent les journaux dans le Nord sont professeurs, ou avocats, ou rentiers. L’état de simple homme de lettres n’existe ni à Stockholm, ni à Copenhague. On tâche de se créer d’abord une position honnête et assurée, et l’on devient journaliste, non point par calcul ou par vanité, mais par goût et par conviction, car les bons habitans des contrées scandinaves n’ont pas encore appris à tarifer le cours de leur conscience et à mettre en adjudication leur plume. Ils ignorent tout ce que peut valoir une bonne rame de papier, employée, selon les circonstances, à défendre un système ou à l’attaquer de front. S’ils se trompent, comme nous, sur la valeur de leurs théories et l’avenir de leurs idées, ils se trompent de bonne foi. Ils disent ce qu’ils pensent, et, quand ils se sont rangés sous un drapeau, ils lui restent fidèles. Il y a des gens parmi eux qui regardent encore l’opinion politique comme une idée sainte, et qui ne peuvent pas se figurer que ce soit tout simplement une espèce de marchandise à laquelle on donne à certaines époques un autre nom, une autre couleur, et que l’on vend au grand marché de la presse, comme une denrée indigène ou coloniale. Le fait est qu’à part le libelliste Crusenstolpe, qui, après avoir long-temps vanté les bienfaits du gouvernement suédois, s’essaie aujourd’hui à le tourner en dérision dans ses pamphlets, on ne citerait peut-être pas un seul écrivain qui ait eu l’audace de renier publiquement les principes qu’il avait défendus et d’attenter à l’autel qu’il avait élevé. Du reste, il faut le dire, les habitudes modestes des hommes du Nord servent elles-mêmes de garantie à leur moralité. Quelle séduction l’argent pourrait-il exercer dans un pays où chacun ne demande qu’à vivre paisiblement au milieu de son cercle de famille, où les ministres se croient riches avec un traitement inférieur à celui de nos plus petits préfets, où Berzelius, l’illustre Berzelius a, par le cumul de deux places, 4,000 francs d’appointemens ?


X. Marmier.