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CORRESPONDANCE DE WASHINGTON.

Mais, en attendant, dira-t-on, elle peut se perdre, elle peut s’éclairer trop tard. Eh bien ! éclairez-la tout de suite, et rappelez-lui en toute occasion que la liberté politique est le gouvernement des meilleurs au jugement de la raison publique. Vous surtout, vous qui gémissez sur la tendance actuelle de la société, vous qui tremblez pour son avenir, ne soyez pas les premiers à l’entretenir dans ses erreurs. Cessez de l’exhorter exclusivement à tout sacrifier au goût du bien-être, à l’amour d’une imprévoyante tranquillité. Ne lui prêchez pas incessamment l’indifférence aux grandes choses, l’oubli des nobles pensées, la morale des intérêts, le matérialisme politique. Ne lui répétez plus que le talent, la fierté, la dignité du caractère, sont des superfluités dangereuses. Gardez-vous surtout de lui enseigner que la sagesse, la profonde sagesse en ce monde, se réduise à je ne sais quel mélange de patience et de ruse, de pratique des hommes et de mépris des idées, qui use tout pour réussir un temps, et compromet la raison même en l’humiliant au rang du savoir-faire. Reconnaissez enfin les doctrines ignobles que vous avez laissé paisiblement s’accréditer, et au lieu de crier à l’envahissement de la démocratie, demandez-vous si l’exemple de votre misérable prudence n’a pas été le plus triste et le plus efficace des encouragemens aux idées de nivellement.

La France a plus besoin que jamais qu’on lui parle un noble langage. Les grands hommes sont un don du ciel. Les Washington ne viennent qu’à l’heure qui leur est marquée ; mais leur exemple est une leçon perpétuelle ; mais les vérités qu’il consacre, les pensées qu’il suggère, les sentimens qu’il inspire, sont de tous les temps. Rappelez-les sans cesse, et forcez à se relever vers de glorieuses images les yeux trop souvent baissés des mortels. Accoutumez leur esprit à concevoir grandement la mission de commander. Suscitez en eux cet orgueil qui sied aux citoyens d’un état libre, aux amis ardens de l’égalité, de n’aimer à être gouvernés que par ceux qui sont dignes du gouvernement. On dit que la démocratie est trop difficile ; elle est trop commode au contraire, et se contente à trop bon marché. Si la France a un tort aujourd’hui, c’est peut-être celui de ne pas placer assez haut l’honneur de la guider, c’est d’ignorer qu’il n’y a rien de si élevé dans son sein qui ne soit encore au-dessous de cette mission-là.

Voilà ce que révèlent à tous les peuples toutes les actions des hommes dignes de l’histoire ; voilà l’enseignement qui sort à chaque