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parti intermédiaire, en effet, s’il était viable, ne pourrait vivre que des suffrages de la gauche, que dis-je ? des suffrages de toutes les oppositions. M. Barrot en serait nécessairement le protecteur, le suzerain. L’avénement de ce parti, s’il pouvait se réaliser, s’il pouvait durer quelque temps, ne serait qu’un pont jeté entre la gauche et le pouvoir. La gauche a raison de le désirer, de l’appeler de tous ses vœux, d’en proclamer les avantages, la nécessité. Elle prêche dans le désert. Ceux-là même auxquels elle paraît s’adresser ne se font pas, ou, si l’on veut, ne se font plus d’illusion. Ils savent, à n’en pas douter, qu’il n’y aurait là pour eux ni probabilité de succès pour le présent, ni sûreté pour l’avenir. Des hommes politiques, des hommes d’état ne se placent pas ainsi entre deux abîmes, sur une crête entourée de précipices, uniquement pour le plaisir de montrer un moment au monde beaucoup d’adresse, beaucoup d’habileté, le talent plus étonnant qu’admirable des danseurs de corde. Ils ne sacrifient point ainsi l’avenir au présent, l’histoire de leur vie politique aux vanités d’un jour. Encore une fois, le conseil n’est ni acceptable ni accepté. Il s’adressait à des hommes qui connaissent mieux que personne la situation de la chambre, l’état du pays, leur propre position et les conditions de tout pouvoir honorable et durable.

Le discours de M. Odilon Barrot, dont la dernière partie, par trop posthume, peut être regardée comme non avenue, n’a donc pu avoir qu’un seul et unique résultat. Mais ce résultat est considérable, il est décisif à nos yeux. Nous tenons le problème de la nouvelle majorité comme à peu près résolu. Les déclarations de la gauche ont dû nécessairement refouler vers nos rangs tous les hommes que les accidens de la politique avaient seuls séparés momentanément du parti gouvernemental. Le travail de la nouvelle fusion est fortement préparé. Qu’on y apporte de tous les côtés de la franchise et de la modération, qu’on reconnaisse surtout de tous les côtés que rien n’est plus ridicule en politique que d’aspirer à l’impossible, et ce travail, si important pour le pays, pour la dignité de la chambre, pour la stabilité du pouvoir, ne tardera pas à être accompli. Nous aurons l’ancienne chambre moins le tiers-parti, moins ce parti bâtard, qui, impuissant par lui-même, avait cependant servi de dissolvant, et amené le gouvernement représentatif à deux doigts de sa perte ; moins le tiers-parti, qui, dans la personne de ses membres les plus influens, fait peut-être en ce moment sa dernière expérience du pouvoir. Il y aura sans doute encore, et dans la majorité et dans l’opposition, des variétés, des nuances. C’est l’esprit de notre temps. Les corps puissamment organisés, le renoncement aux éclats d’une individualité impatiente et vaniteuse, la soumission absolue aux règles de conduite de son parti, ne sont plus de nos mœurs ; ce sont ou vertus ou défauts étrangers à notre société. Il faut pour cela des aristocraties ou des couvens, des tories ou des jésuites. Nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Nous sommes des Français, et des Français du XIXe siècle. Il y aura donc toujours dans nos assemblées un fractionnement : cela est inévitable ;