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DE LA POLITIQUE ROMAINE.
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effrayé les pontifes, et bien des voix s’étaient écriées : « La nature est en travail d’un roi[1] ! » César sembla répondre à l’attente universelle, et le monde suivit avec anxiété sa marche à ce trône universel, qu’il élevait sur les débris du gouvernement de sa patrie. Chose étrange, que ce mysticisme politique débordant tout d’un coup au sein d’une société dont la tête rejetait à peu près toute religion positive ; que ces prédictions et ces prodiges appliqués à César, à l’ambitieux épicurien qui, en plein sénat, avait nié l’immortalité de l’ame, au profit des complices de Catilina[2] !

Pourtant il en fut ainsi, et, dans la conscience d’un grand nombre d’hommes, cet homme fut vraiment dieu[3]. L’auréole dont son laurier impérial avait été environné passa après sa mort au front de son fils. Octave devint à son tour un sujet de prodiges, de prophéties et de visions, même dans une sphère sociale, où l’on sait se garantir des impressions populaires[4]. On voulait le croire prédestiné à l’accomplissement du grand travail ébauché par son père ; et, comme le poète latin, on suppliait les dieux indigètes, les génies de Rome et du sol italique, divinités exclusives et jalouses, d’épargner au moins ce jeune homme, de ne point arrêter dans ses mains la consolidation du monde

Di patrii indigetes, et Romule, Vestaque mater,
Quae tuscum Tiberim et romana palatia servas,
Hunc saltem everso juvenem succurrere sæclo
Ne prohibite
[5] !…

Ainsi finit, dans Rome, ce gouvernement républicain aristocratique, qui n’avait eu de volonté et de puissance que pour subjuguer. Ébranlé profondément par la réaction des races italiques, il tomba sous celle des races étrangères. L’unité de l’Italie avait pu sortir toute faite du bouleversement de la guerre sociale, parce que les italiens étaient déjà assimilés, parce qu’ils étaient déjà Romains, sauf de droit. Rien de pareil n’existait encore pour les nations sujettes, du moins quant à la plupart ; et ni Pharsale, ni Munda, ni Philippes ne durent enfanter l’unité de l’empire. Ce que les provinces gagnè-

  1. Suet., Aug., 94.
  2. Sallust., Catil., 51.
  3. Suet., J. Cœs., 88. — Dion., XLV, 7.
  4. Voir dans Suétone et dans Plutarque les songes de Catulus et de Cicéron.
  5. Virg., Georg., I, 498.